Mais en quoi suis-je donc concerné ?

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Mais en quoi suis-je donc concerné ?

En 2007, Sacha Batthyany, journaliste suisse d’origine hongroise, découvre que sa grand-tante par alliance, née Thyssen (grande famille d’industriels allemands proches du nazisme, tels ceux qu’on voit dans Les Damnés), fut mêlée, de près ou de loin, à la tuerie de Rechnitz, en Autriche : en mars 1945, alors que tout était déjà perdu pour le Reich, une orgie nazie, organisée dans le château de la dame, s’acheva joyeusement par le massacre de deux cents Juifs hongrois. Onze ans plus tard, cette même grand-tante, retirée à Lugano, offrit refuge aux grands-parents de l’auteur quand ils quittèrent Budapest envahie par les chars soviétiques.

Cette tante, l’auteur-narrateur l’a connue, sans rien savoir des exactions qu’elle aurait commises. De quoi s’intéresser de plus près au passé de sa famille… Son enquête le mène en Argentine, où a émigré, à son retour d’Auschwitz, Agnès, la fille de l’épicier juif du village de ses grands-parents ; puis en Russie, où il traîne son père sur la trace de ce grand-père qui, au lendemain de la guerre, passa dix ans dans les camps de Staline — émouvant passage où un homme mutique et âgé se dérobe plus ou moins à la curiosité de son fils. Et aussi sur le divan d’un psychanalyste. Pour trouver la réponse à la question du titre : « Mais en quoi suis-je donc concerné ? » Facile : en rien, en tout. Ou, pour la reformuler : la culpabilité se transmet-elle de génération en génération ? Car il y a bien des zones d’ombre dans le récit des Batthyany…

La puissance du texte — un premier livre — tient beaucoup au mélange des formes. Si l’essentiel est constitué par la chronique souvent captivante des recherches, rédigée à la première personne, s’intercalent des journaux intimes (exhumés ou réinventés, ce n’est pas dit) et des dialogues imaginaires : ainsi entre un « kapo » soviétique et un ancien officier allemand, autour d’un lac hongrois, quelques années avant la chute du Mur… Ce drôle de patchwork — un peu de fiction, beaucoup d’un réel fortement romanesque — donne à voir, peut-être mieux qu’un récit classique, la pagaille de l’Europe d’après-guerre, l’émiettement des destins, une atrocité chassant l’autre. Et plus encore le sort de la Hongrie, du mauvais côté de la guerre, puis sous le joug stalinien. Des plaies ouvertes, des migrants sur les routes, des frontières qui se ferment, des familles brisées ou dispersées, c’était donc ça, l’Europe d’hier. Comment ? En quoi sommes-nous donc concernés ? En rien, en tout. — Aurélien Ferenczi

 

Und was hat das mit mir zu tun ?, traduit de l’allemand (Suisse) par Niels Christopher, éd. Gallimard, 304 p., 22 €.

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