Mac et son contretemps

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Mac et son contretemps

A la fameuse affirmation : « La bêtise n’est pas mon fort », soufflée par Paul Valéry à son alter ego Monsieur Teste, Mac, le narrateur du nouveau roman d’Enrique Vila-Matas, préfère ce viatique : « La répétition est mon dada. Ou bien : J’aime répéter mais en modifiant. […] Je suis un modificateur inépuisable. Je vois, je lis, j’écoute, tout me semble ­susceptible d’être transformé. Je transforme. Je n’arrête pas de transformer. » C’est dans les pages du journal secret qu’il vient de commencer à tenir que Mac ainsi itère et altère. Ne se lassant pas de revenir à Beckett et Pétrone, Kierkegaard et Hemingway, Rimbaud et mille autres.

Ancien entrepreneur prospère, réduit à l’inactivité par la faillite de sa société, Mac dispose désormais de tout son temps pour se replonger dans ses écrivains de chevet. Et pour enfin se lancer dans l’écriture. En pur débutant, « sans plan préalable, mais non sans savoir qu’en littérature on ne commence pas par avoir une chose à écrire sur laquelle on écrit ensuite, mais que c’est le processus de l’écriture proprement dit qui permet à l’auteur de découvrir ce qu’il veut dire ». Un écrivain ­français a résumé cela : « Ecrire, c’est ­essayer de savoir ce qu’on écrirait si on écrivait », phrase saisissante que Mac cite dans son journal en l’attribuant à Nathalie Sarraute — ce qui est une erreur et pourrait permettre de déduire que ce personnage n’est sûrement pas un double de Vila-Matas, lequel naguère et ailleurs a déjà repris ces mots, sans bien entendu commettre la même méprise, mais au fond allez savoir si bévue il y a vraiment, ou bien déjà transformation, modification. Quoi qu’il en soit, voici bientôt que l’élan de Mac se cristallise sur un projet : réécrire et « améliorer en secret » un roman signé par un écrivain célèbre qui vit dans son quartier de Barcelone, le dénommé Sánchez, individu arrogant, qui plus est amant de son ex-femme Carmen — et c’est peu de dire que ce fait rend Mac jaloux. Le roman s’intitule Walter et son contretemps, et se présente comme les Mémoires d’un ventriloque « qui lutte contre le grave contretemps que représente pour sa profession la possession d’une seule voix, la fameuse voix propre qu’aspirent tant à trouver les écrivains et qui pour lui, pour des raisons évidentes, signifie un problème »…

Qu’ils s’offrent à lire comme des romans ou comme des récits, toujours les livres insolites et brillants d’Enrique Vila-Matas jouent à entremêler le réel et la fiction, la narration et la ­réflexion sur l’écriture. « Je suis fait de tous les autres écrivains, en conver­sation avec eux » (1,) dit ce lecteur insatiable, virtuose de la métafiction, dont les ouvrages sont truffés d’allusions et de citations, affichées ou dissimulées, fidèles ou pastichées.

Le jeu n’est pas gratuit, il est au con­traire spéculatif et grave, il interroge le geste littéraire et son origine, la dynamique des formes, leur potentiel à continuer d’approcher l’indicible de l’expérience humaine et à garder trace. Au coeur de l’espiègle et fantasque Mac et son contretemps, de la méditation de son personnage sur la répétition, « la reprise et le ressouvenir » (Kierkegaard), il est ainsi une mélancolie secrète et très proustienne, qui ne se révèle pleinement qu’aux ultimes pages — au terme de l’odyssée de Mac, où la littérature est mise au défi de conjurer le temps qui passe, de dire « la vie pure gardée à l’état pur ». — Nathalie Crom

 

(1) In Vertige de la lenteur, recueil d’entretiens parus dans la revue La Femelle du requin (éd. Le Tripode).

 

Mac y su contratiempo, traduit de l’espagnol par André Gabastou, éd. Christian Bourgois, 344 p., 24 €.

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