L’Intérêt de l’enfant

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L’Intérêt de l’enfant

Fermement circonscrite dans le temps – quelques mois – et mettant en scène un nombre limité de personnages, convoqués dans quelques décors récurrents, l'intrigue du nouveau, si bref, roman de Ian McEwan devrait être aisée à résumer. Elle ne l'est pas. C'est même tout le contraire. Croit-on la saisir en quelques mots, on s'aperçoit que l'essentiel y fait défaut, y manquera toujours – l'essentiel, c'est-à-dire l'indicible, le trouble violent et la confusion qui parfois se saisissent de l'individu pour subrepticement en saper les assises, en bouleverser l'esprit, en déplacer pour toujours le cœur. Telle est l'expérience à laquelle, dans L'Intérêt de l'enfant, le virtuose et tellement précis Ian McEwan soumet Fiona Maye, juge aux affaires familiales. Une femme aux abords de la soixantaine, rompue au délicat exercice consistant à examiner une situation hautement conflictuelle, à apprécier sans passion les points de vue parfois fanatiques qui s'opposent, pour finalement trancher dans le respect de la loi. Avec en ligne de mire, toujours, pour la (semble-t-il) imperturbable juge aux affaires familiales, « l'intérêt de l'enfant », à savoir son bonheur et son bien-être immédiats, et les quelques objectifs vers lesquels il devrait tendre en grandissant : « L'indépendance intellectuelle et financière, l'intégrité, la compassion et l'altruisme, un travail gratifiant par le degré d'implication requis, un vaste réseau d'amitiés, l'obtention de l'estime d'autrui, les efforts pour donner un sens à son existence, et la présence au centre de celle-ci d'une relation significative, ou d'un petit nombre d'entre elles, reposant avant tout sur l'amour. »

Voici Fiona Maye, un jour de juin, confrontée à une requête urgente : l'état de santé du jeune Adam Henry, 17 ans et 9 mois – donc mineur pour encore trois mois – nécessite une transfusion dont ses parents, membres des ­Témoins de Jéhovah, refusent le principe. Où se trouve « l'intérêt de l'enfant » ? Dans le respect des convictions religieuses de ses parents, que lui-même a épousées ? Ou dans la contrainte à accepter le traitement que souhaite lui prodiguer le corps médical ? S'abstenant de tisser un lien précis entre la vie personnelle de Fiona Maye, telle qu'elle se délite doucement à cet instant précis, et cette sentence qu'elle doit prononcer, Ian McEwan s'attache néanmoins à inscrire sa réaction face au cas précis du jeune Adam dans un faisceau de circonstances. La crise que traverse le couple stable que Fiona formait depuis vingt ans avec Jack. Le ­vague regret qui la mine de n'avoir pas eu d'enfant. La fragilité secrète qu'ont creusé en elle certaines situations de détresse extrême auxquelles elle a été confrontée depuis des années, où elle a dû trancher. Telle celle, tragique, de ces bébés siamois, deux corps soudés et une unique colonne vertébrale, deux vies d'égale valeur, pourtant seul l'un des enfants pouvait survivre – de l'avis de ses pairs, Fiona avait rendu un jugement « élégant et juste », moyennant quoi, malgré tout, « c'était elle qui avait expédié un enfant hors de ce monde, avait argumenté en trente-quatre pages élégantes pour mettre fin à ses jours ».

La confrontation, récurrente en ces pages, entre la sage institution judiciaire et les convictions que la foi dicte aux individus n'est qu'un creuset, un contexte, que le romancier détaille avec raffinement. Mais c'est au plus près des pensées de son héroïne, attentif à ses plus intimes émotions, ses doutes et ses hésitations, que Ian McEwan se tient. Menant le récit de sa rencontre avec le jeune et ardent Adam Henry, et ses déroutantes conséquences, comme un conte à l'austère beauté, et d'une extraordinaire gravité.

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