L’Homme à la clef d’or

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L’Homme à la clef d’or

Les étourdis facétieux qui lui ressemblent ont vite fait d'imaginer que Gilbert Keith Chesterton (1874-1936) a donné son nom à un ruban adhésif ultrarésistant, ou à une danse endiablée qui se pratique genoux fléchis. Mais l'heure est à la mise au point : il faut voir en Chesterton le gourou spirituel d'une société de moins en moins secrète, comptant une multitude d'adhérents souvent convertis depuis l'enfance, admirateurs de son œuvre littéraire à la fois drôle, érudite, spirituelle et polémique. Fervent catholique toujours prompt à scier la branche sur laquelle il priait, penseur anticonformiste faussement drapé dans la bienséance d'une écriture distinguée, GKC fut un écrivain pétri de paradoxes. A commencer par celui-ci : il reste aujourd'hui connu pour être moins connu que ceux dont il fut le maître à penser… Gandhi, Kafka, Borges, Hitchcock, George Bernard Shaw, les présidents Roosevelt et Kennedy, tous ont vénéré cet homme de l'ombre aussi méphistophélique qu'angélique, qui pesait presque 130 kilos, fumait le cigare, sifflait de grands verres (pas que) de lait, éclatait d'un rire bruyant derrière sa cape et ses bésicles métalliques.

Il est temps de redécouvrir que GKC fut bien plus que l'auteur des cinquante et une nouvelles policières mille fois adaptées à la télévision anglaise, autour d'un détective en soutane, le révérend père Brown, sorte de don Camillo britannique ayant avalé un parapluie. Plusieurs parutions permettent aujourd'hui de mieux connaître aussi le poète, romancier, essayiste qu'il fut, lunaire et visionnaire, capable d'envoyer un télégramme d'urgence à sa femme quand il s'était perdu (« Suis à Market Harborough. Où devrais-je être ? »), comme d'écrire dès 1914 un roman fantastique sur l'effroi de l'aristocratie anglaise face à l'intégrisme islamique interdisant les boissons alcoolisées dans les pubs (L'Auberge volante)

Une traduction de L'Homme à la clef d'or, l'autobiographie que Chesterton acheva quelques semaines avant sa mort ainsi qu'une biographie fouillée signée François Rivière (1) lèvent le voile sur l'existence de ce saint de vitrail profondément original, et résolument rivé à l'enfance. C'est là le secret de la lucidité féerique de Chesterton, qui perçut la vie de son regard aigu et de son écoute flottante de petit garçon. « L'important, à ses yeux, est de rendre à l'imagination tout son pouvoir », rappelle François Rivière, avant de citer un extrait de l'essai chestertonien Le Défenseur : « L'influence des enfants nous oblige à mettre notre conduite en accord avec la théorie révolutionnaire de l'existence du merveilleux dans la vie. »

A 3 ans, la mémoire du petit GKC s'empressera d'ailleurs de transformer en chute mortelle de cheval à bascule la maladie qui emporta sa sœur de 8 ans, comme il le confessera dans son autobiographie, sommet d'humour et de clairvoyance. Chaque longue phrase y ressemble à un château de cartes sur lequel il s'ingénie à souffler, avant le point final. Le plaisir de lire Chesterton réside dans ces constructions mentales pince-sans-rire qui aboutissent toujours à des conclusions lumineuses, redoutables d'intelligence. Nouvellement traduite, la pièce Magie (2) encense la capacité d'émerveillement des hommes par la voix d'un vieux médecin qui s'écrie : « Si les étoiles s'égarent dans l'herbe ; ou si, une fois ou deux, le soleil se couche à l'est, nous devons nous contenter de dire : rêvez autant que vous le voulez. Rêvez pour tout le genre humain. »

Rêvez, mais riez aussi, pour transcender le monde, semblait chuchoter Chesterton, beaucoup moins à l'aise sur terre qu'il n'y paraissait. En témoigne La Sphère et la croix (2), fable métaphysique sur le bien et le mal, où se mêlent le voyage en vaisseau spatial de Lucifer et d'un moine ainsi que le séjour en asile psychiatrique de deux Ecossais, l'un catholique, l'autre athée. Un bijou foutraque et inquiétant, digne d'un film des Monty Python.

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