Curieux comme l’épopée d’Ulysse ne cesse d’inspirer les auteurs contemporains. Comme si, malgré les multiples adaptations hollywoodiennes, de Kirk Douglas aux frères Coen, les pérégrinations du roi déchu n’avaient pas encore livré tout leur jus. Extraordinaire récit d’aventures, créatures mythologiques en cascade, voyage initiatique, l’ancêtre de tous les road movies soulève des questions qui n’ont rien perdu de leur acuité. Ulysse, cet antihéros qui ne voulait pas faire la guerre et n’aspire qu’à retourner aux plus vite dans ses pénates, nous ressemble, il est vrai, comme un frère. Deux ans après le remarquable Chants du retour, album dans lequel Jean Harambat s’interrogeait sur l’acharnement d’Ulysse à retourner à Ithaque et la nature de ses liens avec Pénélope, Sophie Michel et Emmanuel Lepage livrent à leur tour leur version du mythe. Ulysse a désormais les traits de Salomé, une femme capitaine qui sillonne la Méditerranée, à la fin du xixe siècle, à la recherche des dernières traces de son bonheur perdu. Sa quête : des tableaux exécutés par Ammôn, un peintre aussi brillant qu’obscur, disséminés entre Gibraltar et Alexandrie chez de vieux collectionneurs anglais ou dans de sordides lupanars. Sur cette trame, les auteurs ont pris le temps d’installer leurs personnages et de leur donner ce qu’il faut d’épaisseur et de mystère pour les rendre attachants. Salomé surtout, vivante Athéna, pétrie d’amour et de colère, est particulièrement réussie. Quant aux dessins, ils parlent d’eux-mêmes : Lepage est ici au sommet de son art. Souffle, cadrages, mise en scène, couleurs, chaque case est un tableau miniature. Au point qu’on se demande parfois si c’est encore un album ou déjà une exposition… — Stéphane Jarno
Ed. Daniel Maghen, 272 p., 29 €.
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