Les Premières Fois

Ajouter un commentaire

Les Premières Fois

Difficile d’afficher plus clairement la couleur que ne le fait le titre : Les Premières Fois, tout ensemble programme, manifeste et résumé de ce roman d’apprentissage, de tous les apprentissages — roman qu’à la toute fin Santiago Amigorena signale être la troisième partie d’un ensemble où l’on imagine que figurent aussi La Première Défaite (2012) et Le Premier Amour (2004). Une trilogie, donc (en tout cas, pour l’instant), elle-même enchâssée dans l’ample corpus cohérent, ramifié, proliférant que constituent les neuf ouvrages autobiographiques à ce jour publiés par l’écrivain — et puisqu’on use de ce mot, « autobiographique », autant l’éclairer d’emblée par cet avertissement de l’auteur, relevé au coeur des Premières Fois mais valant pour toute l’oeuvre : « Le but de mes confessions n’a jamais été et ne sera jamais de vous faire croire que ce que je raconte a été réel. Lorsqu’on écrit, on doit être fidèle à la littérature, pas au passé. On doit chercher la vérité, pas la réalité […]. Le but de la littérature est simplement de trouver quelques mots justes, quelques mots dont la justesse, que ce soit pour décrire un abominable traumatisme, une abominable douleur, ou la quiétude d’un paysage ou d’un visage, provoque de l’étonnement, du ravissement — de la beauté. »

La réalité, ou ses grandes lignes, les lecteurs familiers de ses ouvrages la connaissent : la naissance à Buenos Aires, en 1962 ; onze ans plus tard, l’exil en famille vers la France, via l’Uruguay. Quant à la vérité, c’est peu à peu, livre après livre, qu’Amigorena la poursuit, la saisit, la peaufine, d’un geste littéraire méticuleux, éloquent et sophistiqué d’où ne sont exclus ni un certain narcissisme, ni une vraie autodérision. Au coeur des Premières Fois, le motif, le beau sujet qu’ausculte l’écrivain, c’est l’adolescence : la sien­ne, à Paris (et ailleurs, car il est beaucoup question de voyages, à Prague et à Amsterdam, à Florence et à Londres, à Patmos…), à la fin des années 1970, et, au-delà, la nôtre — car bien entendu, cette vérité que traque Santiago Amigorena en exhumant ce pan autobiographique, c’est, au-delà de l’anecdote personnelle, à travers l’agencement des souvenirs, des sensations et des réflexions retrouvés, « l’essence même de cet âge », de ce moment de l’existence qu’on nomme l’adolescen­ce. Une saison de la vie qui, dans la conception du temps qui est celle de l’écrivain — disons-la proustienne, puisque La Recherche paraît évidemment le grand modèle auquel Ami­gorena a choisi de se confronter depuis qu’il écrit —, demeure toujours un présent (« l’adolescence comme l’enfance sont des forces vives qui ne meurent jamais »).

Au fil de quelque six cents pages délicieusement bavardes, avec la minutie d’un encyclopédiste de lui-même, l’écrivain raconte et commente de multiples initiations : à la sensualité, à l’amour et au féminin, à l’amitié, à l’Europe, à la peinture (de belles pa­ges sur Vermeer, sa simplicité abyssale et « son silence intempestif et atemporel ») et à la photographie, à la langue française et à l’écriture vers laquelle l’adolescent se tourne très tôt — glissés dans le récit, de nombreux fragments de l’époque, poèmes, pastiches ou citations, semblent l’attes­ter. A ces découvertes et ces apprentissages, les années 1970 et la « douce révolte hippie » qu’elles autorisent sont plus qu’une toile de fond : une sorte de creuset agissant, dont le roman est aussi l’examen. Sans que jamais l’esprit de sérieux ou la nostalgie s’emparent du récit pour lui imposer une tonalité dominante grave — en chacune de ces pages, la légèreté et l’humour règnent tout autant. — Nathalie Crom

 

Ed. P.O.L, 592 p., 22 €.

Commandez le livre Les Premières Fois

Laisser une réponse