Les Intéressants

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Les Intéressants

C’est quoi être « intéressant » ? Dans les années 1950-1960, on disait d’un jeune prétentieux qu’il faisait « son intéressant » ; dans les années 1970-1980, ce sont les oeuvres dont on ne savait pas quoi dire, mais dont on pressentait la singularité, qu’on taxait d’« intéressantes »… Les six héros de Meg Wolitzer — Ethan, Ash, Goodman, Cathy, Jonah et Jules, qui se surnomment justement ainsi, « les intéressants »… — sont à la charnière de ces deux significations-là. Sûrs de leur originalité, quand ces jeunes New-Yorkais de bonne famille se rencontrent en 1974, à 16 ans, dans un chic camp de vacances. Mais sans savoir vraiment encore quel est leur talent et ce que l’avenir leur réserve ; même s’ils se promettent au moins de rester amis pour l’éternité… Fille d’une veuve fauchée, Julie fait exception, que les cinq autres ont autoritairement rebaptisée « Jules ». C’est à travers son regard vaguement envieux que l’on va suivre, quarante ans durant, les chemins tortueux des auto-proclamés « intéressants ». Et, en sourdine, l’évolution de la société américaine : de Nixon aux années sida, de la débâcle économique jusqu’aux dérives du système de santé… Gros garçon maladroit mais génie du dessin animé, Ethan est le seul à devenir riche et célèbre avec une série qui triomphe à la télé. Il était amoureux de Jules, il épouse Ash, meilleure amie de Jules et fille solaire. Ash sera une metteuse en scène en vogue, quand Jules, comédienne sans grâce, virera à la psychothérapie, compagne d’un dépressif qui lui apprend pourtant à aimer sa banale existence. Car être « intéressant », c’est peut-être juste accepter de ne l’être pas, suggère cette puissante saga qu’on dévore entre enchantement et mélancolie.

Y plane la nostalgie de l’enfance, de ces temps où tout encore semblait possible. Un leurre. Comment devient-on adulte, à quel prix, à quelle vitesse ? On n’évoquera pas les incessants ­rebondissements qui jalonnent ces 564 pages tourmentées. Eux sont « intéressants » parce qu’imprévisibles. Comme Meg Wolitzer, qui se joue des époques en démiurge, les construit, déconstruit, reconstruit, tel Faust. Défier le temps : voilà la force de son long et palpitant récit, dans un genre où la littérature américaine déjà excelle. — Fabienne Pascaud

 

The Interestings, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, éd. Rue Fromentin, 564 p., 23 €.

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