Les Fous du son

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Les Fous du son

Le mot synthétiseur ne fait pas bondir de joie tous les mélomanes. On connaît des puristes du rock pour qui le boom de ces machines à sons dans les années 1970 et 1980 fut une abomination. Ces jours-ci, le synthé jadis futuriste a les honneurs du vintage, d’anciens modèles sont traqués par de jeunes musiciens curieux ou nostalgiques de quelque dzooing ou bip-bip. L’heure est à la réconciliation, et ce corpulent ouvrage de Laurent de Wilde tombe à pic pour remettre au goût du jour les vieilles pendules astronomiques ayant précédé les actuels objets high-tech.

Ne pas se laisser impressionner par son épaisseur : Les Fous du son se lit à bonne cadence tant son auteur est à l’aise en conteur et contagieux dans son enthousiasme. Pianiste de jazz émérite, une douzaine d’albums depuis 1987, de Wilde s’est révélé dix ans plus tard écrivain, avec Monk, une des meilleures monographies publiées en français sur un musicien. D’un clavier à l’autre, cet ancien normalien parvenait à garder un swing, une allégresse dans le tempo, une fluidité dans l’expression. Ces qualités s’appliquent ici à une forme plus ambitieuse : Les Fous du son est à la fois une suite de portraits, riches en anecdotes, et une histoire savante de la musique électronique entre la fin du xixe siècle et celle du xxe.

La saga des machines à boutons est incarnée par autant d’aventures humaines, toujours agitées, parfois invraisemblables ou dramatiques, et l’entreprise en devient quasi romanesque. En douze chapitres, on parcourt un spectre chronologique allant de Thomas Edison, sorte de Gaston Lagaffe que son intérêt pour le phonographe et le microphone à charbon n’empêcha pas d’inventer au passage la chaise électrique, au Japonais Ikutaro Kakehashi, créateur de la boîte à rythme TB 303, fétiche des adeptes de la house et de la techno. Vertige… D’un cas à l’autre, on voit que le titre du livre n’est pas une hyperbole : tous ces types ont eu des idées parfaitement folles, avant que les moins déraisonnables ne soient mises en pratique, avec des fortunes diverses, celle de l’inventeur n’étant pas toujours proportionnelle à son génie. Nombreuses sont les histoires de brevet non dé­posé, de faillite.

Le premier olibrius à imaginer une musique entièrement synthétique, avec un clavier qui jouerait autre chose que des notes, est l’Américain Thaddeus Cahill. Dès avant 1900, il conçoit le telharmonium, colossal orgue électrique dont les sonorités sont diffusées par téléphone : c’est déjà le principe de la musique en ligne, jubile Laurent de Wilde. Les successeurs de Cahill n’auront de cesse de multiplier les potentialités de la machine en la rendant de moins en moins encombrante. Certains se lanceront même sur la piste des ondes électroniques sculptées par la main, ainsi le Français Maurice Martenot et le Russe Lev Termen, devenu Leon Theremin une fois passé à l’Ouest. C’est à ce dernier qu’on doit, en 1932, dixit de Wilde, le premier concert d’électro à New York… un 1er avril.

Les noms devenus communs de leurs bébés tout hérissés de câbles électriques cachent toujours un homme. L’orgue Hammond se prénommait Laurens (et il ne jouait pas lui-même du clavier) ; derrière le fameux piano Rhodes il y avait Harold ; et le génial Moog, premier synthétiseur moderne (le mot apparaît en 1966), qui révolutionna la pop, eh bien vous pouvez l’appeler Bob. La fin de l’histoire s’écrit plutôt en japonais, mais le dernier chapitre, suggère Laurent de Wilde, ne coupe pas le fil d’une évolution dont la prochaine étape, maintenant que l’ordinateur est promu lui-même instrument de musique, sera du côté de la spacialisation du son au moyen de capteurs optiques. La matière d’un autre ouvrage virtuel, d’ici cent ans. — François Gorin

 

Ed. Grasset, 560 p., 23 €.

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