Les Filles au lion

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Les Filles au lion

C’est autour d’une maison de poupée, objet exquis et troublant s’il en est, que se cristallise l’intrigue de Miniaturiste (1,) premier roman à succès — mais l’expression convient-elle encore, pour désigner un livre vendu à plus de 500 000 exemplaires en grand format au Royaume-Uni, puis traduit dans plus de trente pays ? — de la Britannique Jessie Burton, paru il y a trois ans. Confiée par la romancière aux bons soins d’une jeune héroïne évoluant dans la bourgeoisie marchande d’Amsterdam, au xviie siècle, la précieuse maison miniature, plus que trois fois centenaire et bien trop fragile pour des mains d’enfant, se laisse réellement contempler au Rijksmuseum, à côté de toiles de Vermeer, de Rembrandt. On ne sait si le tableau que Jessie Burton a placé au centre de son deuxième roman, Les Filles au lion, possède, dans quelque musée de Londres, d’Espagne ou d’ailleurs, une version originale. Il s’agit d’une huile sur toile de petit format, au motif étrange : « D’un côté, une fille tenant la tête sans corps d’une autre fille entre ses mains, et de l’autre, un lion, assis, hésitant à bondir sur cette proie. » La minutie dans les descriptions étant un des talents de Jessie Burton, on possède d’autres détails sur cette scène : son décor pastoral jaune et vert, la couleur indigo du ciel, la présence dans l’arrière-plan de « ce qui ressemblait à un petit château blanc ».

Lorsque le tableau apparaît au lecteur, dans le coffre ouvert d’une MG, le roman vient de commencer, à Londres, au cours de l’été 1967, en compagnie d’Odelle, une jeune femme de 26 ans, originaire de Trinité-et-Tobago, arrivée en Angleterre cinq ans plus tôt — cinq années à vendre des chaussures, un emploi qu’elle vient enfin de quitter pour intégrer, en tant que secrétaire, une grande galerie d’art près de Piccadilly. Le rêve d’Odelle est de devenir écrivain — mais cette aspiration demeure indécise, enfouie, comme empêchée par le manque de confiance en soi. C’est Odelle qui prendra la parole chaque fois que la narration des Filles au lion nous ramènera dans les années 1960 à Londres. L’autre pôle spatial et temporel du livre se situe en 1936, dans un village du sud de l’Espagne, où se sont installés un marchand d’art viennois, son épouse anglaise et leur fille Olive — 19 ans et qui, elle, aspire à peindre —, tous trois bientôt rejoints dans leur villa délabrée par Isaac et sa soeur Teresa, deux jeunes gens du village.

On imagine spontanément que le tableau, dont l’intitulé exact est Rufina et le lion, constitue le sas par lequel communiquent les deux parties de l’intrigue. La suite de l’histoire mettra au jour d’autres liens, moins prévisibles. Formidablement à son aise dans l’élaboration d’une architecture narrative compliquée, Jessie Burton n’en néglige pas pour autant d’en préciser, de façon très visuelle, chaque décor, chaque scène, chaque geste des personnages. Dominée par l’attachante Odelle — tout ensemble combative et embarrassée, et confrontée au racisme ordinaire —, la distribution des Filles au lion regorge de très beaux rôles, notamment féminins. Faut-il alors faire reproche à Jessie Burton d’effleurer les thèmes que soulève son récit, presque à son insu semble-t-il — sur l’élan et la position de l’artiste, sur son geste et ce qui l’entrave… —, sans chercher à les appro­fondir ? On en a le droit, l’option alternative étant de s’abandonner au mouvement de son irrésistible machine romanesque. — Nathalie Crom

 

(1) Miniaturiste est disponible en Folio.

 

The Muse, traduit de l’anglais par Jean Esch, éd. Gallimard, 496 p., 22,50 €.

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