L’Éclat de rire du barbare

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L’Éclat de rire du barbare

Le motel La Colombe bleue offre tout le confort moderne et les résidents ­espèrent légitimement y passer un ­séjour agréable. Sauf que des évé­nements inattendus perturbent la sérénité de la petite tribu qui commençait à faire connaissance. Les coussins, les draps, les serviettes sentent soudainement l’urine, et tous se demandent qui est le responsable d’un ­attentat aussi singulier qui gâche les vacances. La prudence s’installe et, du jour au lendemain, les clients ­s’observent, se soupçonnent, font des messes basses, guettent le moindre indice dans les comportements des uns et des autres. Dans ce lieu clos, les caractères se révèlent, les langues se délient et les affrontements se font jour, tel celui qui oppose Faruk, le ­mari jaloux, à tous les hommes qu’il accuse de regards indécents envers sa femme. Sema Kaygusuz, dans son premier roman intitulé La Chute des prières, publié par Actes Sud (2009), avait déjà installé un climat fantastique sur une île où les traditions et les légendes, les rumeurs et les jalousies venaient perturber la vie des hommes. Seule la nature, avec ses magnifiques champs de thym et ses animaux, n’obéissait qu’à ses propres lois.

Ici encore, la mer, la montagne, les palmiers ou l’oliveraie semblent les ­témoins silencieux et immuables de la gesticulation des hommes, tout à coup livrés à leurs manigances et ­règlements de comptes. Car tous, comme prisonniers d’une villégiature à laquelle ils n’osent pas renoncer au motif que les vacances sont sacrées, font surgir ce qu’ils gardaient au fond d’eux-mêmes. Malheur au mari qui aborde le thème de la sexualité féminine et qui se fait vertement remettre à sa place par sa femme beaucoup plus libérée que lui ! C’est encore à une sérieuse dispute que se livre un couple gay… Et, comme si les querelles intimes avaient ouvert les vannes, l’histoire de la Turquie, le regard de l’Occident, les génocides et les déplacements de population refont surface dans les échanges tendus. Sema Kaygusuz écrit avec un scalpel. Son écriture sait mettre au jour les sujets douloureux. — Gilles Heuré

 

Barbarin Kahkahasi, traduit du turc par Catherine Erikan, éd. Actes Sud, 220 p., 21,80 €.

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