L’Échange des princesses

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L’Échange des princesses

Vous ne l’apercevrez même pas sur la couverture du roman, reproduction d’une toile de 1725. L’éditeur n’y cadre que la natte enrubannée et la main pote­lée de l’infante d’Espagne Marie-Anne Victoire (7 ans), fugace épouse d’un Louis XV alors âgé de 11 ans. Pour décupler la gourmandise ? Marie-Anne Victoire est l’héroïne, avec Mademoiselle de Montpensier (12 ans), du délicieux et cruel roman historique de Chantal Thomas. L’auteur des Adieux à la reine ne cesse d’ausculter les failles d’un xviiie dont elle fait à merveille partager les jouissances et les perversités, son goût de Sade et de Casanova mêlés. Qu’on en juge à l’authentique aventure de ses deux jeunes princesses. Pour consolider la paix avec l’Espagne, le régent Philippe d’Orléans offre à Philippe V un mariage croisé entre leurs deux maisons : sa propre fille, Louise-Elisabeth de Montpensier, épousera l’héritier du trône espagnol, et celle de Philippe V, Marie-Anne Victoire, le futur Louis XV. Proposition acceptée. Les deux royales rejetonnes se croisent ainsi sur la route de Bayonne en janvier 1722. Mais la mort du régent, l’indifférence jalouse de Louis XV envers sa trop brillante, trop aimante promise, la folie naissante de Mademoiselle de Montpensier, les ambitions carnassières de la cour auront raison des possibles amours enfantines.

Entre humour et effroi, Chantal Thomas fait de cette invraisemblable parenthèse historique un moment crucial, et trop réel, où s’affrontent princes et rois, hommes et femmes, garçons et filles. Les deux jeunes couples (et l’espagnol est le plus pitoyable !) sont les victimes d’un monde d’adultes où le respect de l’enfance et l’affection parentale n’existent pas. La magie du livre tient à l’extravagance de l’épisode, aux délires des infants, à la dinguerie d’une vie aristocrate tout ensemble obsédée de paraître (donc d’illusions, de spectacles, de vie) et de chasse (donc de mort) que maîtrise constamment la romancière de son écriture précise, teintée d’ironie. Derrière le style enjoué, l’horreur. Grâce à sa fascination des petites filles et de leur imaginaire, Chantal Thomas se joue avec brio des apparents paradoxes, passe de l’érudit au fantastique. Renvoyant les ingénuités de l’enfance (Marie-Anne Victoire, sa préférée), les hystéries de l’adolescence (Louise-Elisabeth) aux sévérités cauchemardesques du pouvoir, elle nous maintient en attente du coup de théâtre final. Il y a du thriller dans ces courts chapitres enchantés qui n’auraient pas déplu à Saint-Simon. Et nous rendent mystérieusement à notre inson­dable part d’enfance.— Fabienne Pascaud

 

Ed. Seuil, 334 p., 20 €.

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