Le Principe

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Le Principe

Ne pas décevoir, ne pas se répéter, ne pas se dédire, ne pas s’égarer. Forte est l’injonction à la perfection qui pèse sur tout écrivain de retour en librairie après un prix Goncourt. Comment rebondir, deux ans après le couronnement du Sermon sur la chute de Rome, roman sur l’éternel cycle d’apparition et de désagrégation de toute chose, homme, famille, idée, sensation, civilisation ? Jérôme Ferrari s’est placé pour cela sous la protection du scientifique allemand Werner Heisenberg, prix Nobel de physique 1932, modèle de persévérance et d’humilité, en proie au doute comme aux illuminations intérieures, dont il propose, dans Le Principe, un portrait en creux aussi clinique qu’halluciné.

Quoi de plus rassurant, de plus galvanisant aussi, que de confier ses incertitudes à l’inventeur même du principe d’incertitude, selon lequel il est impossible de connaître en même temps la vitesse et la position d’une particule élémentaire, la précision de l’une entraînant le flou de l’autre ? Jérôme Ferrari illustre la théorie avec le brio qui le caractérise. Lui-même particule créatrice en mouvement dans la galaxie littéraire, il refuse de se laisser cerner, étiqueter, développant une écriture toujours plus incantatoire, traversée de raies de lumières et de nébuleuses magnétiques. Particulièrement envoûtantes sont ses phrases de fin de chapitres, déroulées avec une évidence triomphale, comme des conclusions de démonstrations scientifiques, synthétiques et poétiques, ouvertes sur l’infini de la pensée.

Tapi derrière son double, un personnage d’étudiant en philo des années 1980, qui sèche honteusement sur le texte d’Heisenberg qu’il doit commenter lors de son oral de fin d’année, Jérôme Ferrari continue de creuser au passage quelques-unes de ses marottes, comme le poids des racines corses ou la fascination pour le grain épais des photographies anciennes. En témoigne l’étrange cliché jauni qui orne la jaquette du livre, où Werner Heisenberg est debout sur un tuyau de cheminée, en plein ciel, les mains dans les poches, le visage dans l’ombre. A la fois insaisissable et pénétrant, fragile et souverain, le fondateur de la mécanique quantique a l’air d’une cible attachée à un poteau d’exécution, d’un ange perché sur l’issue d’une chambre à gaz, ou d’un échassier au sommet d’un clocher. Un dieu, un animal (titre de l’un des plus beaux livres de Jérôme Ferrari, paru en 2009), un maître, un semblable.

La transmission : voilà sans doute le thème principal de l’oeuvre que Jérôme Ferrari peaufine méticuleusement depuis une dizaine d’années. Admirer, recevoir, grandir, puis donner, respecter, pour grandir encore, tel est le processus à l’oeuvre dans tous ses livres, peuplés de pères spirituels et de fils symboliques engagés dans une passation de pouvoir implicite que rien ne peut enrayer. Même quand l’histoire la plus chaotique et la plus pernicieuse se mêle de malmener les destins, comme ce fut le cas pour Werner Heisenberg, courtisé par le régime nazi, Jérôme Ferrari a l’art de mettre au jour l’humanité de chaque être, son impuissance face à la marche du monde, son incapacité à tout comprendre. Alors que le principe d’incertitude étend « son influence sur les hommes dont les pensées s’estompent et se colorent des teintes pâles de l’indétermination », un principe de certitude régit tout son travail : la parole et le silence ne font qu’un, unis par le pouvoir de l’écriture, force de connexion entre tous les êtres.— Marine Landrot

 

Ed. Actes Sud 164 p., 16, 50 €

(en librairie le 4 mars).

 

Jérôme Ferrari est l’un des écrivains invités à la Fête du livre de Bron (69) qui se tiendra du 6 au 8 mars.

Rens. www.fetedulivredebron.com

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