Le Pont invisible

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Le Pont invisible

Il faut un sacré souffle romanesque pour tenir en haleine le lecteur plus de huit cents pages durant ! L’entraîner, sans temps mort ni effort, dans les convulsions de l’Histoire contemporaine comme dans les labyrinthes de la passion. Andras, jeune architecte juif hongrois, et Klara, énigmatique professeure de danse, hongroise elle-aussi, mais de neuf ans son aînée et mère d’une impossible adolescente, se rencontrent dans le Paris noir et blanc des années 1930, admirablement décrit ici. Fraîchement débarqué de Budapest, sans le sou, Andras vient d’obtenir une bourse pour étudier l’architecture avec Auguste Perret ; les tribulations de la diaspora judéo-hongroise les ont fait se croiser dans la cité bouillonnant d’art et de théâtre. Mais même à l’école d’architecture, l’antisémitisme commence à poindre et l’on devine l’Europe prête à basculer dans la folie hitlérienne…

Pour son premier « gros » roman, Julie Orringer s’est certes inspirée de sa parentèle et de la vie de son grand-père, mais la mémoire familiale, si pleine de coups de théâtre, d’horreurs et de merveilles soit-elle, ne suffit pas à faire œuvre. Or la nouvelliste américaine de 40 ans parvient superbement à nous entraîner dans le chaos de la Seconde Guerre mondiale et de la Hongrie d’après guerre — jusqu’à la révolte manquée de 1956 — sans être jamais didactique. L’histoire d’amour fiévreuse qui sert de fil rouge à sa saga, l’infini mystère qui accompagne chacun de ses personnages (et il y en a beaucoup, d’étranges et savoureux, autour d’Andras et Klara), qu’ils soient ballottés par la politique ou leur inconscient, maintiennent en permanence une sorte de suspens. Le couple quittera Paris, faute de renouvellement de visa, reviendra à Budapest dans le maelstrom de la guerre, puis échouera dans des camps de travail. Et la romancière trouve soudain une dimension épique. Varier les tons, les récits, l’écriture même, de l’évocation du Théâtre Sarah-Bernhardt (actuel Théâtre de la Ville) à celle de la capitale hongroise en ruines… Julie Orringer est une grande conteuse qu’on lit, écoute, accompagne avec une curiosité, une gourmandise presque enfantines.

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