Le Dimanche des mères

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Le Dimanche des mères

« C’était le 30 mars. Un dimanche. Un jour que l’on appelait le dimanche des mères. » C’était un jour de début de printemps éclaboussé d’une lumière digne du mois de juin. Et malgré toute cette clarté, ce ciel bleu vif, cette tiédeur inattendue de l’air, un jour empreint de mélancolie : nous sommes en 1924, et ces mères que l’on fête n’en finissent pas de porter le deuil des fils que la guerre leur a enlevés. Ce n’est a priori pas le problème de Jane. Elle a 23 ans, elle est orpheline, et contrairement aux autres domestiques auxquels leurs maîtres ont donné congé pour l’occasion, elle n’a donc pas de mère auprès de laquelle se rendre et passer la journée. Une parenthèse de quelques heures de pleine liberté s’ouvre ainsi devant elle. Elle aurait pu rester lire au jardin — par exemple Joseph Conrad, qu’elle vient de découvrir — ou parcourir la campagne du Berk­shire à bicyclette. Au lieu de cela, c’est son amant qu’elle rejoint en secret — il s’appelle Paul, c’est un jeune homme de bonne famille, à la veille d’épouser une jeune fille de son milieu et de mettre fin à la relation clandestine qu’il entretient avec Jane depuis sept ans. Les choses seront accomplies. Jane et Paul feront l’amour pour la première et dernière fois dans la chambre du garçon. Après quoi lui s’en ira rejoindre sa fiancée, laissant Jane seule dans la maison vide…

De cette journée hautement décisive dans la vie de Jane Fairchild, le si talentueux Graham Swift (Le Pays des eaux, La Dernière Tournée, J’aimerais tellement que tu sois là…) fait un roman d’une éclatante beauté. Un roman d’apprentissage fulgurant, limpide et étincelant, comme nimbé d’un bout à l’autre de la vive lumière de ce dimanche où se concentre l’action — même si, en quelques phrases, quelques pages, on s’y trouvera aussi projeté très loin dans le temps, dans la vie future de Jane, et ainsi capable de mesurer combien crucial fut ce jour de 1924 où se cristallisèrent et se soli­difièrent sa personnalité, ses désirs, ses volontés. Joyau de sensibilité, de sensualité et de lucidité, ce Dimanche des mères n’est pas sans rappeler, par son impeccable concision et sa perfection formelle, cet autre diamant romanesque qu’est La Plage de Chesil, de Ian McEwan — Graham Swift y met plus de douceur, et y déploie un talent égal. — Nathalie Crom

 

Mothering Sunday. A romance, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Marie-Odile Fortier-Masek, éd. Gallimard, 142 p., 14,50 €.

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