Le Coeur sauvage

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Le Coeur sauvage

« Non je ne déteste pas cet endroit ; je déteste ce qui m’arrive quand je m’y trouve. Je déteste l’attirance qu’il exerce sur moi. Le fait qu’il ne conduise à nulle part ailleurs qu’à lui-même. Le fait que tout le monde dépende de tout le monde et qu’un individu ne puisse pas être libre. » C’est l’Etat du Vermont, au nord-est des Etats-Unis, ses forêts profondes, ses lacs sombres et ses irrésistibles montagnes vertes qu’évoque ainsi la fille de Joan, dans l’ultime nouvelle du Coeur sauvage. Elle est venue aider à mourir sa vieille hippie de mère, atteinte d’un cancer. Et elle est de nouveau happée, malgré elle, par la terre de son étrange et difficile enfance auprès d’une femme trop libre, trop belle… Au cinéma comme en littérature, on connaît le Vermont via les somptueuses résidences qu’y possèdent les riches New-Yorkais. C’est une tout autre région que dépeint avec une rigueur et une sobriété folles, un tempo folk et rugueux la jeune romancière Robin Macarthur, inconnue à ce jour. Dans cet âpre pays où il fait si froid l’hiver et si chaud l’été, ont en effet échoué dans leurs mobile homes décatis bien des pacificistes et libertaires des années 1970. Ils y vieillissent comme ils peuvent, solitaires, fauchés et sans illusions, au milieu de fermiers au bord de la ruine et d’une population en perdition. Mais la nature est là. Qui veille et sauvegarde malgré tout. Qui préserve des grandes douleurs, réconcilie avec le monde. Sans excès, sans emphase.

Le petit miracle de l’écriture de Robin Macarthur (admirablement traduite par France Camus-Pichon), c’est qu’à travers onze nouvelles écrites à la première personne (toujours féminine) et qui parfois se font écho, surgit un monde de ratages et de poisse qui jamais ne sombre dans le mélodrame. Juste dans une mélancolie pudique, proche des nouvelles de Tchekhov, dans une tristesse aiguë que n’aurait pas reniée Maupassant. Ici les femmes dominent, résistant à toutes les souffrances, à tous les abandons ; les mères surtout, qu’observent en silence des filles rebelles. Rarement auront été aussi finement suggérées la violence et la tendresse, la rivalité et l’empathie secrète des relations mère-fille. On noie beaucoup de chagrin dans l’alcool chez Robin Macarthur, ou on va se promener dans les bois, se baigner dans l’eau glacée, s’oublier dans l’effort. La sauvagerie des lieux apaise la sauvagerie du coeur. — Fabienne Pascaud

 

Half Wild, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par France Camus-Pichon, éd. Albin Michel, 212 p., 17 €.

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