L’Abandon des prétentions

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L’Abandon des prétentions

Les courts chapitres de ce roman sont un peu comme les Post-it de couleur rose que son héroïne, Jeanine, colle sur les portes des placards de sa cuisine, sur son réfrigérateur, petits papiers volants et collants sur lesquels elle note des phrases attrapées au vol — celle-ci, surtout : «  »Qu’est-ce qu’une vie réussie ? », on ne sait pas pourquoi cette phrase-là plutôt qu’une autre », s’interroge sa fille, la narratrice. C’est elle, la fille, qui expose et juxtapose les fragments de la vie de sa mère, soixante-cinq en tout, pour de ces éclats composer et préciser un portrait intime, comme enchâssé dans une ample fresque sociale contemporaine dont il constitue le point fixe et où l’on croise nombre d’autres visages. C’est que Jeanine, aujourd’hui sexagénaire, divorcée et retraitée de l’enseignement, n’a pas la fibre solitaire. Insatiable est son appétit de rencontres, à jamais inassouvi son besoin de partage. Son goût des autres. De sa cuisine, elle a fait « un lieu d’écoute sociale » où, jour après jour, viennent s’épancher toutes sortes d’individus, hommes et femmes, jeunes et vieillards, émigrés d’Algérie, de Russie ou d’ailleurs, réfugiés, locataires de tout poil et plus ou moins probes…

Le soigneux dispositif qui préside à l’articulation des épisodes de la vie présente et passée de Jeanine se fait vite oublier, tandis que s’impose l’extrême justesse du trait qui la dessine, scrutant et soulignant tendrement, ironiquement, et toujours plus profondément ses failles. Parmi lesquelles ce manque de confiance en soi qui lui fut légué dès l’enfance — avant cela Jeanine se croyait capable, du bout de ses doigts de toute petite fille, de « toucher l’horizon »… — et se mua au fil du temps en un tenace embarras social et existentiel. Une sorte d’empêchement avec lequel Jeanine apprit à composer, faisant au fond de cette entrave une arme de douce insurrection — « contre la tyrannie des ambitions, elle a préféré affiner sa part sensible », note la fille dans ce roman si fin, si grave, qui semble écrit comme pour conjurer et déjouer la tentation de l’effacement de la mère. — Nathalie Crom

 

Ed. Fayard, 248 p., 18 € (en librairie le 11 janvier).

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