La Veuve Basquiat

Ajouter un commentaire

La Veuve Basquiat

C'est le poète, plasticien et critique d'art René Ricard, figure centrale de l'underground new-yorkais des années 1980, qui lui avait trouvé ce drôle de surnom : la veuve Basquiat. Comme une plaisanterie lugubre et prémonitoire. Suzanne Mallouk avait alors 20 ans, comme Jean-Michel Basquiat, dont elle était la compagne. Lui, Basquiat, était encore the radiant child, « l'enfant radieux », formule signée du même René Ricard, et titre en grosses lettres noires d'un article qu'il consacra au jeune peintre en décembre 1981 dans l'influent magazine Artforum, donnant une impulsion décisive pour sa notoriété. Trente ans et des poussières plus tard, Basquiat n'est plus, mort en 1988 d'une overdose. Quant à Suzanne Mallouk, elle est devenue psychiatre, et reçoit ses patients dans un cabinet situé à Central Park Ouest (1). A la romancière et poète Jennifer Clement, son amie, elle a raconté les années passées aux côtés de celui qu'elle appelait Jean — huit ans d'une intimité brouillonne, intense, toxique dont témoigne ce mince et émouvant ouvrage.

Ceci n'est pas un document pour servir à l'écriture de l'histoire de l'art contemporain. Non, ceci est un objet littéraire non identifiable, poétique et fantasque, un collage de fragments qui dissout la chronologie et brouille les repères. Une suite de brefs chapitres où se juxtaposent le récit-roman que construit Jennifer Clement à partir des confidences de Suzanne et, l'appuyant ou le nuançant, les commentaires de Suzanne elle-même, livrés à la première personne. Car, après tout, c'est bien elle, Suzanne, le personnage principal du livre. Du moins le croit-on, aux premières pages, alors qu'on la voit naître et grandir en Ontario, au début des années 1960, gamine secrète, terrorisée par la violence de son père, l'étrangeté de sa mère : « Suzanne connaît son squelette. Elle sait où se trouve chaque os et lequel fait le plus mal. Elle sait qu'un bleu causé par une chute sur la glace est différent d'un bleu causé par une ceinture. Elle a étudié la longueur de son tibia et la largeur de son fémur. Ce n'est pas la même chose de se faire tirer les cheveux de la nuque ou du front. Elle a appris comment pivote une main qui peut lui couvrir tout le visage. »

Sourcils très noirs, lèvres très rouges, Suzanne a 19 ans quand elle arrive à New York. En fait, cela fait quatre ans déjà qu'elle a quitté l'Ontario. Mais ce n'est pas dans le livre qu'on l'apprend, car le récit se hâte d'avancer vers son point nodal : la rencontre avec Basquiat, le soir de la Saint-Sylvestre 1980, dans la salle enfumée d'un bar miteux de Manhattan joliment appelé le Night Birds (Oiseaux de nuit) où elle officie comme barmaid : « Jean-Michel a trouvé Suzanne comme une petite boîte, un vieux manteau, un cent sur le trottoir, a trouvé un petit garçon-fille comme lui. Lui aussi connaît son squelette. Enfant, il a été renversé par une voiture et sa mère lui a donné L'Anatomie de Gray à lire à l'hôpital. Il a réparé ses os par sa seule volonté. Il sait jusqu'où il faut plier un bras pour frapper, quels os peuvent être fracturés et lesquels lui font traverser la rue… », écrit Jennifer Clement à propos de leur rencontre.

Complicité et violence tissent le récit de l'intimité du couple en crise permanente au cours des huit années qui suivent, submergées de cocaïne et d'héroïne. La Veuve Basquiat est l'histoire fascinante, répétitive et poignante d'un amour empoisonné, d'une débâcle où s'esquisse en filigrane le destin météorique et dramatique de Basquiat, l'artiste surdoué, l'enfant radieux si tôt déchu.

Commandez le livre La Veuve Basquiat

Laisser une réponse