La République de l’imagination

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La République de l’imagination

Du récit des séminaires littéraires clandestins qu’elle animait à son domicile iranien, au milieu des années 1990, Azar Nafisi, professeur d’université radiée par le régime des mollahs, a nourri il y a douzaine ans un réjouissant best-seller international : Lire Lolita à Téhéran — roman autobiographique où il est montré de quelle façon l’immersion dans les oeuvres de Nabokov, Fitzgerald, Henry James ou Jane Austen peut fournir à l’individu des armes de résistance à l’oppression totalitaire. Immigrée aux Etats-Unis en 1997, devenue américaine en 2008, Azar Nafisi prolonge, dans La République de l’imagination, la réflexion sur le potentiel émancipateur de la littérature qu’elle avait engagée dans son précédent ouvrage. Bien sûr entre-temps le décor a changé, mais qu’en est-il du combat ? La voici désormais citoyenne d’une démocratie qui se clame, haut et fort, pays de la liberté.

« Qu’est-ce qui fait qu’un pays, jusque-là simple lieu de vie ou de refuge, est ­désormais le vôtre ? » s’interroge-t-elle en préambule ? Peut-être sait-on que le havre temporaire est devenu un « chez soi » lorsque s’impose la nécessité de le critiquer, « l’améliorer, le changer, faire connaître vos récriminations ».

Azar Nafisi se revendique, certes, avant tout citoyenne de « la République de l’imagination », dont les ressortissants se recrutent partout dans le monde, rassemblés par la conviction que lire de la fiction n’est pas un moyen d’échapper à la réalité mais plutôt de la regarder « avec un regard neuf ou, comme le disait Tolstoï, des yeux  »tout propres » », assurés aussi que « le savoir imaginatif […] nous aide à façonner notre attitude envers le monde, à y trouver notre place ». Mais elle se sent suffisamment américaine pour, de son cher pays d’adoption, critiquer le conservatisme intellectuel, la soumission toujours accrue à l’idéologie ultra­libérale et au matérialisme.

Huck Finn, le jeune héros insoumis de Mark Twain, les marginaux affamés du Coeur est un chasseur solitaire (Carson McCullers) et l’admirable James Baldwin sont les alliés qu’Azar Nafisi se choisit pour ce baroud — le conformiste George F. Babbitt, personnage éponyme du roman de Sinclair Lewis, faisant office de repoussoir. L’analyse littéraire et la narration — l’auteure se met en scène, raconte son intégration, réinvente des dialogues… — toujours s’épaulent, au fil de cet essai parfaitement anti-académique, vif, généreux, roboratif. Qui se lit comme un plaidoyer en faveur de « l’authentique libre-pensée », de la « puissance du choix ­individuel » face aux injonctions du collectif — mais aussi en faveur de la ­littérature comme moyen de prendre conscience de « l’humanité partagée » qui relie chaque individu aux autres. — Nathalie Crom

 

The Republic of imagination, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marie-Hélène Dumas, éd. JC Lattès, 414 p., 22,50 €.

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