La Mise au pas des écrivains

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La Mise au pas des écrivains

Voilà un personnage comme on les aime : fougueux, combatif, intraitable. Loin de sortir de l’imagination d’un romancier, l’abbé Bethléem (1869-1940) fut bien réel. Et c’est à Jean-Yves Mollier, historien spécialiste de l’édition, que l’on doit cette exhumation passionnante. Mal connu des histoires littéraires, cet abbé, né près d’Hazebrouck, fils de modestes cultivateurs, fit retentir la colère divine en publiant, en 1904, un brûlot intitulé Romans à lire et romans à proscrire, qui, trente ans plus tard, atteindra les 140 000 exemplaires vendus. Scrupuleux dans la tenue de ses fiches, obéissant aux encycliques papales et aux décrets de l’Index, il se fit soldat de Dieu, pourfendant les écrivains et publications qui lui apparaissaient comme oeuvrant en faveur du « Malin ».

L’abbé Bethléem fustigea ainsi les classiques : Rousseau et Voltaire, responsables, comme l’Encyclopédie et l’imprimerie en général, de la Révolution française, mère de tous les maux, ou encore Molière, rangé parmi les ennemis « les plus mortels et les destructeurs les plus impies de la famille chrétienne ». Il enchaîna sur George Sand, « prêtresse de l’esprit laïque », « communiste » qu’il sauva tout de même pour ses « romans humanitaires » comme La Mare au diable ou La Petite Fadette. Eugène Sue et Emile Zola ne bénéficièrent pas de cette bienveillance, le deuxième, coupable de dreyfusisme, étant notamment l’auteur de « la rhétorique de l’égout et de l’esthétique de la sentine ». Il va de soi que les écrivains naturalistes écopèrent des mêmes jugements. Sans parler de Proust ou de Gide, expédiés directement dans les flammes de l’enfer.

L’abbé recommande toutefois Dickens ou H.G. Wells, témoignant ainsi d’un véritable goût pour la lecture – lui qui, pourtant, prétendait s’en tenir aux règles morales plutôt qu’aux jugements littéraires. Du haut de ses revues (Revue des lectures, Romans-Revue), l’intraitable abbé, antisémite convaincu, se voulut toujours défenseur de « la race française », déterminé à traquer « la lèpre de la franc-maçonnerie » ou « les infiltrations laïques ».

Reçu en audience par Pie X en 1912, loué par Pie XI pour son action, l’abbé Bethléem n’était pourtant pas un olibrius caractériel. Jean-Yves Mollier montre bien, dans cette passionnante biographie – sous-titrée L’impossible mission de l’abbé Bethléem au XXe siècle –, comment il participa d’un ordre moral propre aux années 1930, adossé aux positions politiques de droite et d’extrême droite. Même si l’abbé, en 1939, dénonça « les deux dictatures » de Mussolini et de Hitler. Pour finalement inspirer, de façon posthume, la loi sur les publications pour la jeunesse qui sera votée le 16 juillet 1949, et demeure à ce jour en vigueur.

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