La Distance de fuite

Ajouter un commentaire

La Distance de fuite

Lorsqu’elle était enfant, Catherine Safonoff avait une technique infaillible pour se couper des autres : « on contracte un muscle à l’intérieur des oreilles, ce qui cause une sorte d’étourdissement, de bourdonnement, un peu comme si on nageait sous l’eau », raconte-t-elle dans son nouveau roman, journal, récit, rêve, égarement, déploiement… difficile de circonscrire cette écriture de l’abandon. A 77 ans, l’auteure genevoise a gardé la maîtrise toute particulière de son oreille interne développée au plus jeune âge, et continue de pratiquer comme personne l’isolation phonique tout ouïe. Elle écrit depuis ses propres fonds, en apnée, en souffrance quand le souffle lui manque, ou en hyperventilation quand sa lucidité devient enivrante. Sourde aux coups bas que la vie lui envoie, quand par exemple elle croise un ami qui lui assène — « ne le prends pas mal… » — qu’elle a été pitoyable dans sa lecture publique. A l’écoute des paradoxes de Colette, quand cette dernière prétend ne pas aimer écrire, répétant ces verbes tant de fois qu’ils finissent par perdre leur négation.

Et toujours cet entêtement à coucher sur le papier ce qui danse dans sa tête ou devant ses yeux. Quand Catherine Safonoff brode, elle le précise tout de suite, revient immédiatement sur ses points de croix cousus de fils blancs pour les effilocher et laisser apparaître la toile nue, la vérité dérangeante. « Quand on parle, on ment nécessairement (…) pour cent raisons, par politesse, par peur, pour sortir d’une embrouille, parce qu’on ne sait pas ce qu’on dit mais qu’il faut parler quand même », dit-elle aux détenus qui participent à son atelier d’écriture en prison, avant de poursuivre : « Par écrit, quelque chose se passe. On change d’élément. » Loufoque et intransigeante, Catherine Safonoff a consacré son existence à nager dans cet élément houleux, la littérature à la première personne. Ce nouvel opus paraît en même temps qu’un essai passionnant d’Anne Pitteloup consacré à son oeuvre (Catherine Safonoff, réinventer l’île, aux éditions Zoé également). Une double occasion de redécouvrir cette femme qui se classe elle-même « dans la catégorie des fous moyens » — mais avec une grande plume dans la main, alors. — Marine Landrot

 

Ed. Zoé, 336 p., 18,50 €.

Commandez le livre La Distance de fuite

Laisser une réponse