La Compagnie d’Ulysse

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La Compagnie d’Ulysse

Deux ou trois choses que l’on sait de lui : Jean-Marie Chevrier est écrivain, dentiste et creusois. Sans oublier la principale : cet auteur a l’art de chorégraphier le parcours existentiel de personnages taiseux et atypiques, son roman Madame (paru en 2014) restant le joyau de sa couronne littéraire. Voilà qu’aujourd’hui, il réunit tous ces éléments biographiques et artistiques en un seul livre de souvenirs aussi épars qu’intenses. Un récit d’apprentissage qui balaie trois décennies, en sourdine joyeuse.

Les années 1950 de l’enfance en Creuse, dans une famille paysanne où se transmet depuis plusieurs générations « une valeur refuge : la dépréciation de soi ». Les années 1960 d’études dentaires à Paris, avec une bande de copains férus de théâtre antique. Puis les années 1970 comme chirurgien-dentiste, très rouge politiquement, sur ses terres natales. Jean-Marie Chevrier traverse le temps avec un art du regard en coin et du rire sous cape. Il capte comme personne le mystère des autres, une Judith (un peu Magre) qui met ses doigts en pince et fait de la méditation pendant les répétitions de théâtre, un Jojo (un peu Rain Man) qui s’attelle à la construction d’un bateau en sa compagnie.

D’Issy-les-Moulineaux, où le quart-monde ouvrier lui offre ses chicots noirs, à Guéret, où un boucher ne supporte pas la vue du sang et s’évanouit dans son cabinet après une extraction, l’auteur montre les dessous d’une profession médicale rarement employée comme matière romanesque. On rit souvent à la lecture de ce livre allègre, malgré l’obstination tragique du destin. Caustique à souhait, Jean-Marie Chevrier a aussi le sens de l’éclair bouleversant, comme dans cette séquence où un enfant en guenilles lui expectore, entre ses dents de lait surinfectées : « J’aimerais bien être mort. » — Marine Landrot

 

Ed. Albin Michel, 320 p., 20 €.

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