La Chambre des époux

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La Chambre des époux

D’abord il se moque de lui-même, qui « ne se prend pas pour de la merde avec ses grands airs absents et éthérés, genre héros stendhalien qui va bientôt s’évanouir… ». Ou plutôt imagine-t-il ­qu’ainsi le considère le public des Assises du roman, ce jour de 2008 à Lyon où il participe lamentablement à un débat inénarrable de drôlerie sur « Le roman Puzzle ». Et justement, ce dernier fascinant opus d’Eric Reinhardt est un ­roman puzzle… Où, comme souvent chez lui, réalité et fiction se mêlent, défiant les repères, pervertissant les certitudes, ouvrant à toutes les virtualités. Dans la littérature comme dans la vie, autant ne renoncer à rien.

Après l’autodérision, Eric ­Reinhardt dresse son portrait en artiste romantique, jusqu’à faire de cette Chambre des époux un quasi manifeste. La fas­cination pour la beauté, l’amour et la mort s’y entrelacent jusqu’au sublime. « Je suis venu pour m’abîmer en vous, je serai votre force, vous allez vivre », s’exalte un des héros face à l’amante mourante. Les univers morbides et fantastiques de Barbey d’Aurevilly et de Villiers de l’Isle-Adam affleurent, de même que le symbolisme hautain de Maeterlinck. Eric Reinhardt a le goût des contes cruels. Il est cruel. Après l’émotion, la distance et le délicieux désarroi du ­lecteur. Le romancier impose jusqu’au vertige, jusqu’à la préciosité, ses « romans dans le roman », s’arrête au milieu d’une phrase, mélange les personnages…

En 2006, Margot, son « authentique » épouse, est atteinte d’un cancer du sein tandis qu’il peine à achever Cendrillon. Elle lui propose un défi : elle se battra contre la mort s’il se bat avec l’écriture. Ils lutteront ensemble. Ils gagnent. Cancer vaincu, succès de Cendrillon. La littérature a aidé à échapper à la mort ; l’art pourrait changer le monde. Mais quelles traces ? C’est aussi ce que raconte cette courageuse analyse des couples vieillissants.

Compositeur de musique dans un récit gigogne, Nicolas — double de l’auteur ? — accompagne Mathilde dans sa bataille contre un cancer du sein. Elle a la même supplique que Margot : continuer chaque jour pour elle la symphonie qu’il a commencée, bientôt intitulée La Chambre des époux… Comme Margot, Mathilde guérit ; comme Eric, Nicolas réussit son oeuvre. Mais voilà que les deux créateurs se prennent pour des démiurges, s’imaginent guérir une troisième femme, Marie, dont ils tombent éperdument amoureux. Parce qu’elle est malade ? Parce que son prénom, tel Margot et Mathilde, commence par « M » — « aime ! » Fantasmes et réalités se conjuguent. Le pire n’est jamais sûr, disait Claudel dont surgit ici le flamboyant lyrisme sentimental. Tout est possible. Surtout aux héroïnes narguant le temps, le pouvoir, l’amour, d’Eric Reinhardt. A propos, son épouse se prénomme… Marion. C’est à elle qu’est dédié le livre. — Fabienne Pascaud

 

Ed. Gallimard, 174 p., 16,50 €.

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