Kinderzimmer

Ajouter un commentaire

Kinderzimmer

Voilà quelques années que Valentine Goby élargit patiemment sa cour de fidèles, et ce huitième roman consacre son écriture musicale, en cercles concentriques, ondoyant autour de personnages victimes d’un monde qui les dépasse. Le thème de la maternité, omniprésent, palpite encore et toujours dans cette histoire de naissance en terre hostile. Une nouvelle fois, l’intrigue se passe pendant la Seconde Guerre mondiale, dont la romancière sonde toujours les entrailles comme une échographe.

Après les amours interdites d’une jeune Française et d’un Allemand sous l’Occupation (L’Echappée), la douleur sourde d’un avortement dans les années 1940 (Qui touche à mon corps je le tue), elle prend le risque de l’innommable et de l’indicible, en s’aventurant encore plus loin, à Ravensbrück, aux côtés d’une déportée enceinte à son arrivée au camp, en 1944. Son fils naîtra sur place, et sera placé dans la Kinderzimmer, la « chambre des enfants », avec les autres nourrissons au même destin.

Valentine Goby a écrit un grand roman sur l’innocence, une magistrale histoire d’éveil, décryptant dans leurs moindres détails les perceptions de son héroïne, parachutée dans un univers inconnu, inquiétant, incompréhensible. Comme son bébé, Mila est sans mots face à l’horreur de son destin, et doit faire confiance à ses capacités sensorielles pour survivre. Elle repart de zéro, remonte avant le langage, pour accéder à son statut d’être vivant absolu, inaliénable. Odeurs, démangeaisons, visions cauchemardesques, tout alimente son cerveau avec la même vigueur, et s’entrechoque avec les sensations engrangées autrefois, rêves du passé, chansons d’hier, contes d’enfance.

La langue de Valentine Goby s’en ressent, chaotique, organique, pleine d’effroi et d’espoir, atrocement belle. Et cette béance terrible : jamais le bébé n’est vraiment décrit, ni entendu. Souverain et absent, ni mort ni vivant, il respire entre les lettres du livre. C’est l’enfant des possibles détruit par l’impossible. — Marine Landrot

 

Ed. Actes Sud 222 p., 20 €.

Commandez le livre Kinderzimmer

Laisser une réponse