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Ici, rien ne bouge, mais tout change. C’est une image fixe. Le point de vue d’un spectateur — le lecteur — sur un décor unique : un coin de salon dont les repères immuables sont une fenêtre et une cheminée. Le degré zéro de la mise en scène, si l’on veut, mais où, dans chaque double page datée, surgissent comme des vignettes des images d’une autre époque, qui font résonner en écho un passé proche (celui de la famille qui, sans doute, occupe les lieux depuis trois ou quatre générations) ou lointain (en 1609, il n’y avait là qu’une forêt où un jeune couple d’Indiens se retrouvait pour faire l’amour) ; l’évocation aussi d’un futur informel (en 2213, une guide commente pour des touristes la reconstitution virtuelle de la maison). C’est un état des lieux à l’épreuve du temps qui passe, au fil des années, des décennies, des siècles, laissant des traces fugaces, un précipité de mémoire flottante.

Ce jeu de pistes discontinu a tout d’un dispositif expérimental. Il l’est. Mais, en une alchimie visuelle d’une imprévisible fluidité, il libère une myriade de détails qui font sens — ou mystère, c’est aussi fort… Nous sommes au théâtre de la vie comme elle va, avec les jeux d’enfants, les conversations sans queue ni tête, les routines du couple, les flashs touchants et les « il faut qu’on parle ». Il y a quelque chose d’universel dans cette magistrale géologie de l’intime. Qui sont ces deux hommes portant canotier qui se battent ici en 1910 ? Qu’est-il advenu du personnage (un cambrioleur ?) entré ici une nuit de 1997 par la fenêtre ? Pourquoi une jeune fille en rouge pleure(ra)-t-elle ici en 2051 ? Richard McGuire, maître dans l’art de l’ellipse et du non-dit, ne donne pas de réponse. Mais son projet, d’une intelligence ludique sans pareille, est un exceptionnel stimulant pour l’imagination du lecteur. — Jean-Claude Loiseau

 

Here, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Troin Ed. Gallimard 304 p., 29 €.

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