Homère est morte…

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Homère est morte…

103 ans : une assiette encadrée par un couteau et une cuillère. Graphiquement, l’âge se libelle comme un couvert. Un couvert immobile et imma­culé qui ne servira plus jamais, un couvert qu’Hélène Cixous a remis de livre en livre au fil des ans, écrivant inlassablement sur la peau de plus en plus parcheminée de sa mère, remettant sans cesse au monde cette sage-femme centenaire qu’elle voulait ne ­jamais perdre, agençant des mots ­amniotiques, des mots polyglottes, des mots infaillibles, pour bâtir un sarcophage de survie à cette maîtresse femme, à cette femme matrice, à l’origine de tout. 103 ans, c’est donc l’âge qu’a choisi Eve Cixous pour mourir, à « un des moments de ce temps sans bord et sans relief », au petit matin du 1er juillet 2013. A moins que ce ne soit plus tôt, ou plus tard – Hélène Cixous va et vient autour de cette date, agrippée à son agenda boomerang.

Enveloppée dans une écriture tour à tour primesautière et ondoyante, où la crudité le dispute à la douceur, elle inspecte la mort au travail. Tout s’éteint à chaque instant, pour laisser briller d’autres lumières qui se dissipent à leur tour, après avoir éclairé les lueurs naissantes : ce passage de relais permanent entre les vivants et les morts sous-tend toute la littérature d’Hélène Cixous, qui convoque les écrivains défunts (Homère, Shakespeare, Stendhal) et les proches encore en vie (ses enfants, des infirmières, Ariane Mnouchkine) pour en extraire l’inextinguible. Elle oscille entre l’ici-bas et l’au-delà, se blottit dans l’après, se raidit dans l’avant, et ce remue-ménage chronologique a un goût d’éternité. Hélène Cixous vit et se regarde vivre, meurt et se regarde mourir, écrit et se regarde écrire, et son recul permanent lui permet d’avancer. Comme la conscience qui se laisse aveugler avant de surgir plus solaire que jamais, elle pratique l’écriture immédiate trépidante et l’introspection analytique distante avec la même intelligence au galop. Il faut se laisser faire, pour que l’inaccessible s’offre à portée de main. La lire comme elle se souvient avoir vu lire sa mère : « Elle suit chaque mot pas à pas. Je vois que les mots marchent lentement devant elle, l’attendent. Des heures. […] Le livre lui tient les mains. »

Les livres d’Hélène Cixous nous tiennent les mains, nous tiennent la tête, comme sa mère le fit si souvent aux parturientes et à leur enfant naissant. Ils nous tiennent en vie.

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