Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours

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Histoire du silence. De la Renaissance à nos jours

Recueillement, écoute de soi, méditation, rêverie, voire même condition de la création : le silence a toutes les saveurs et toutes les fonctions. Faire l’histoire du silence, de la Renaissance à nos jours, en deux cents pages, pourrait relever de la gageure. Alain Corbin — qui, dans tous ses travaux, a exploré des motifs inscrits dans l’histoire des sociétés de façon impalpable ou difficilement cernable, tels que l’odorat (Le Miasme et la Jonquille), les rivages (Le Territoire du vide), les paysages sonores (Les Cloches de la terre), la sexualité (Les Filles de noce, L’Harmonie des plaisirs) ou encore l’ombre (La Douceur de l’ombre) — réussit pourtant une nouvelle fois son pari, caressant toute la gamme des silences, dont les conceptions et les pratiques sont différentes selon les époques.

Un livre d’Histoire au sens classique ? Plutôt le livre d’un historien qui sollicite le lecteur en lui fournissant de quoi méditer sur le sujet. Ces silences, écrit-il, « comment les éprouver sinon en plongeant dans les citations de tant d’auteurs partis dans une véritable quête esthétique ? En les lisant, chacun met à l’épreuve sa propre sensibilité. Trop souvent l’Histoire a prétendu expliquer. Quand elle aborde le monde des émotions, il lui faut aussi et surtout faire ressentir, en particulier quand les univers mentaux ont disparu ». Ils sont nombreux, les auteurs cités, et chacun d’eux s’agrège aux thèmes retenus par Alain Corbin. Au xixe siècle, les écrivains américains Walt Whitman, Henry David Thoreau ou John Muir ont ainsi placé la nature au centre de leurs écrits, façonnés autant qu’envoûtés par elle. D’autres s’y sont attardés, comme cueillis par un instant suspendu. Mallarmé, poète acoustique, voyait naître un « grand plafond silencieux » dans l’accumulation soudaine des brouillards. Chateaubriand, au milieu des ruines de Sparte, entendait les pierres qui « se taisaient » autour de lui. Et Albert Camus, à Tipasa, disait distinguer « un à un les bruits imperceptibles dont était fait le silence ».

L’historien ne s’efface pas devant les citations. En guide scrupuleux, Corbin pose quelques rappels. Ainsi, le silence des petites villes de province décrites par Balzac et d’autres romanciers du xixe siècle traduit-il une France des sous-préfectures obsédée par son histoire et en marge de l’agitation des grandes villes. De même, pour comprendre les textes qui traitent du silence aux xvie et xviie siècles, convient-il de se souvenir que le silence était alors « la condition nécessaire de toute relation avec Dieu ». Le « Créateur » est bien l’inspirateur de tous ceux qui se réfugièrent dans une solitude méditative : « Ce n’est que dans le silence et dans le retranchement des discours inutiles et distrayants qu’Il vous visitera par ses inspirations et par ses grâces », enseigne ainsi Bossuet aux ursulines de Meaux.

Si le silence n’est pas religieux, il participe des codes sociaux. Se taire poliment, dans la bonne société du xixe siècle, c’est se différencier à la fois du paysan taiseux et du « provincial » trop volubile. Qu’ils émanent des domaines de la peinture et du cinéma, du thème de l’amour — quelle silencieuse indiscrétion de Proust sur le corps endormi d’Albertine ! — et même de celui de la politique — l’assourdissant mutisme dans Le Silence de la mer, de Vercors —, nombreux sont les exemples choisis par Alain Corbin où la parole fait reddition. Dans ce beau livre où, une fois encore, les émotions sont au centre de ses recherches, l’historien, toujours curieux de comprendre avec quoi l’Histoire s’édifie, chuchote au lecteur toutes les pistes que l’on peut suivre. Un livre où il s’impose à lui-même une discrétion qui prend alors la forme d’un murmure intellectuel. — Gilles Heuré

 

Ed. Albin Michel, 214 p., 16,50 €.

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