Fouché. Les silences de la pieuvre

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Fouché. Les silences de la pieuvre

Un serpent enroulé autour d’une ­colonne : les armoiries de Joseph Fouché (1759-1820), duc d’Otrante, n’auraient pu mieux symboliser le pouvoir qu’exerça cet homme redoutable et redouté, de la Révolution à la Restauration en passant par l’Empire. Portant la soutane dans sa jeunesse, montagnard à la Convention, votant la mort du roi Louis XVI, mitrailleur de la ville de Lyon, ministre de la Police, traître, comploteur, informé de tout et de tous, il a traîné sa légende noire jusque chez ceux qui, plus tard, l’ont évoqué : Victor Hugo, Balzac ou Stefan Zweig.

Il fallait bien qu’Emmanuel de ­Waresquiel, spécialiste du premier xixe siècle, bénéficiant d’archives inédites, se frottât à Fouché. C’est chose faite, avec cette somptueuse biographie où le roman d’espionnage s’insinue entre les analyses. Pas facile, pourtant, d’écrire sur un homme ­politique, longtemps premier flic de France (empruntons le sobriquet de Clemenceau), qui sut effacer ses traces compromettantes – prudence dont nombre de ses successeurs sauront se souvenir.

Suivre Fouché, c’est fréquenter les riches bâtisses et filer par des portes dérobées et, toujours, être témoin de son machiavélisme. Homme des cabinets plutôt que des tribunes, il a le physique de l’emploi : une voix qui ne porte guère, un visage taillé à coups de serpe et d’une pâleur fantomatique, un regard terrible et des lèvres d’une finesse inquiétante d’où filtrent les menaces ou les requêtes. Cet ­ardent révolutionnaire conspue la royauté, justifie tout ce qui peut rédui­re à néant les complots contre-révolutionnaires, réels ou fictifs. Il est tellement habile dans la propagation ou la rétention d’informations, et dans l’anticipation, qu’on ne sait plus s’il a des convictions. Mais cet ambitieux est ­efficace, qui développe ses services en déployant les ramifications et créant des réseaux d’informateurs pour tout contrôler et tout connaître. « J’étais moralement ce qu’était le siècle », écrira-t-il. L’homme a des principes qui se définissent en fonction des circonstances. Maniant l’intrigue et le double jeu, tour à tour conciliant, inflexible, ou tendre dans l’intimité, il concentre entre ses mains des pouvoirs redoutés, mais connaît aussi la disgrâce et l’exil. Haï et jalousé par le plus grand nombre, il donne souvent le tournis à force d’être renégat. Les révolutionnaires les plus virulents le vilipendent, et les royalistes méprisent ce bourgeois régicide.

Dans les célèbres face-à-face, comment ne pas se régaler de ceux qui l’opposent à Bonaparte, puis Napoléon, et à Talleyrand ? Le premier jugea souvent qu’il valait mieux avoir Fouché avec lui que contre lui : il le nomme, le dessaisit de ses portefeuilles, le menace et le complimente, lui reproche de mener des négociations derrière son dos – « Je ne puis avoir confiance dans un ministre qui un jour fouille dans mon lit et l’autre dans mon portefeuille », dit-il – mais ne peut s’en passer.

Fouché n’aurait-il été qu’un technicien du secret ? Pas sûr. Lors des Cent-Jours, il aurait bien envoyé l’empereur aux Amériques, devinant sans doute que la gloire n’a qu’un temps. Et après Waterloo et le retour de Louis XVIII, il défend le drapeau tricolore, redoutant que le drapeau blanc d’un Ancien ­Régime révolu n’excite à la fois la vengeance des royalistes et la colère contre un roi revenu dans les valises des troupes étrangères. La paix civile devient, sur le tard, l’autre ambition de ce fin connaisseur de l’esprit public. « Dans une nation comme la France, écrit-il, ce n’est qu’avec précaution qu’on peut remuer le passé. » Tacticien, mais assez philosophe.

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