En quête de l’Étranger

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En quête de l’Étranger

L’Etranger : probablement le livre de Camus le plus mystérieux, en tout cas celui qui suscite le plus de lectures différentes. Illustre-t-il la condition humaine face à l’absurde ? En quoi dépeint-il la situation de l’Algérie de la fin des années 1930 ? Pourquoi Meursault paraît-il à ce point détaché de tout ? A chacun son Etranger, donc, ce qui laisse pas mal d’interprétations, sachant que le roman, paru en 1942, s’est vendu à plus de dix millions d’exemplaires rien qu’en France, et qu’il est toujours inscrit dans les programmes scolaires, des deux côtés de l’Atlantique.

C’est d’ailleurs une universitaire américaine, Alice Kaplan — déjà auteure d’une formidable étude sur le procès de Robert Brasillach (Intelligence avec l’ennemi, éd. Gallimard, 2001) — qui, en France et en Algérie, mène cette « en quête de L’Etranger », biographie magnifiquement documentée de l’oeuvre de Camus. Alice Kaplan suit la genèse du livre, les doutes qui président à son écriture — Camus en avait commencé une esquisse avec le manuscrit de La Mort heureuse, dont il reprendra quelques éléments dans L’Etranger. « On ne pense que par image, écrit-il dans ses carnets en 1936. Si tu veux être philosophe, écris des romans. » Alors ce philosophe qui, tuberculeux, ne peut enseigner, écrit. Mais avant, il traverse ce qu’Alice Kaplan appelle une « période de mutations vertigineu­ses » : un mariage raté avec Simone Hié qu’il rencontre en 1933 et dont il se sépare trois ans plus tard, la passion du théâtre, des mentors, comme le professeur Jean Grenier, qui l’encouragent ou le refroidissent. Journaliste, Camus assiste à des procès, analyse le fonctionnement du système judiciaire, notamment quand les affaires concernent des conflits entre Arabes et Européens. Il lit aussi Le facteur sonne toujours deux fois, de James M. Cain, où un personnage est simplement désigné par « le Grec », un procédé littéraire que Camus songe à reproduire — la victime de son propre roman sera « l’Arabe ».

Monté à Paris en 1940, Albert Camus donne forme à L’Etranger en deux mois. De bonnes fées veilleront à la publication chez Gallimard : Pascal Pia, André Malraux, Jean Paulhan, Roger Martin du Gard. En 1942, le livre paraît sans que la censure de la Propaganda­staffel, après une lecture trop rapide, y trouve à redire. Après guerre, incarnant la Résistance française, Camus sera accueilli à New York comme « existentialiste », surnommé par Vogue « le Petit Bogart ». Mort dans un accident de voiture en 1960, il ne connaîtra pas l’incroyable succès de son premier roman ni ne pourra répondre aux questions que pose « l’Arabe », privé de nom. — Gilles Heuré

 

Ed. Gallimard, 336 p., 22 €.

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