Des hommes sans femmes

Ajouter un commentaire

Des hommes sans femmes

Ces nouvelles sont des provisions de bouche parfaites pour attendre (deux ans, peut-être…) la traduction en français du dernier roman de Haruki Murakami, Killing Commendatore, paru au Japon le 24 février dernier.

Excellent cru, ce recueil d’histoires courtes contient les ingrédients habituels de l’indéfectible nobelisable japonais. A commencer par le souci du détail culinaire, maniaquerie de ses personnages solitaires. On y croise évidemment le tenancier d’un club de jazz, premier métier de Murakami, où traînent un gros chat gris et un mystérieux homme en imperméable de gouttière. François Truffaut, Woody Allen, les Beatles hantent chaque page. La consommation ne comble personne : le téléphone portable n’existe pas, les voitures sont démodées et cabossées, les produits affichent piteusement leurs marques. Enfin, la sphère ORL est à l’honneur, comme il se doit dans tous ses livres à l’ouïe fine. Car la captation des signes, l’écoute des silences, l’observation de la transparence, restent les compétences premières des héros murakaméléons, toujours à se cacher dans la foule, à emprunter des couloirs parallèles imaginaires, à marcher secrètement à côté de leurs pompes.

Histoire de ne pas avancer dans une solitude trop brumeuse, ils s’affublent d’anges gardiens aussi coupés du monde qu’eux, des doubles sachant garder leurs distances tout en assurant une compagnie bienveillante. Un valet de chambre, un pilier de bar, ou une chauffeuse particulière qui fume au volant. Discrétion et compassion absolues. Bizarrerie et mutations garanties. Intimistes, romantiques et mélancoliques au début du recueil, les nouvelles glissent lentement vers le fan­tastique, sans jamais relâcher leur attention aux fragilités humaines.

Chaque histoire est construite autour de la narration qu’un personnage fait d’un épisode majeur de sa vie. Une façon pour Murakami d’évoquer son goût pour le récit, sa jubilation à raconter. Et quand il décrit le visage de Kafuku, dans la première nouvelle, Drive my car, comme « la surface d’un lac une fois que les ondulations se sont effacées et que le calme est revenu », grande est la tentation d’y voir la définition de son style inimitable. Sans affect, impassible, sur le fil, son écriture traque les manifestations imperceptibles du passé. Ses héros sont comme les cristaux d’eau, sculptés par la mémoire des paroles, des musiques, des pensées. Eternellement insondables et familiers. — Marine Landrot

 

Onna no inai otokotachi, traduit du japonais par Hélène Morita, éd. Belfond, 304 p., 21 €.

Commandez le livre Des hommes sans femmes

Laisser une réponse