Continuer

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Deux injonctions s’étalent sur la couverture de ce livre, comme deux lumières dans la nuit, deux repères pour poursuivre sa route. Continuer. Mauvignier. Un titre en forme d’infinitif. Un auteur en forme d’infinitif. A la page M d’un dictionnaire imaginaire, le verbe « mauvignier » aurait sans doute plusieurs définitions. Mauvignier, c’est forer, déceler, déferler, respirer. Et continuer. Voilà dix-sept ans que cet écrivain tient ses promesses, dix-sept ans qu’il avance et nous emmène à sa suite sans jamais décevoir. Son dernier livre, Autour du monde, traçait des lignes et tissait des liens, d’un bout à l’autre du globe, un jour de tsunami. A chaque fois qu’un chapitre se fermait pour passer d’une existence brisée à une vie en reconstruction, le lecteur poursuivait le séjour en secret, s’attardait en pensée dans des lieux trop vite quittés, et se prenait à rêver de prolonger les rencontres.

Avec ce nouveau roman, Laurent Mauvignier exauce ce souhait. Il nous propulse dans les montagnes kirghizes, et s’arrête, s’installe. L’immobilité pour mieux dire le mouvement des choses, la vitesse pour en saisir la paralysie. Tel a toujours été le secret de son écriture, qui dessine ici le parcours accidenté du voyage initiatique d’une Bordelaise avec son fils adolescent, au fin fond de l’Asie centrale. Sibylle a vendu sa maison en France pour payer cette cavale de secours à Samuel, garçon en perdition, déscolarisé, déphasé, désaxé, dont la peur de l’avenir s’est transmuée en peur du présent. Le livre révèle les origines de ce geste d’amour sacrificiel, en suit l’effet boomerang après la déflagration, en mesure la portée mystérieuse, aléatoire, aussi destructrice que salvatrice. Rarement Laurent Mauvignier avait osé une telle évidence des sentiments, une telle puissance du don à l’autre. Comme Xavier Dolan dans son film Mummy, il n’a pas peur de s’en remettre à la simplicité de l’émotion, inébranlable point de stabilité au milieu du chaos.

Hymne incomparable à l’amour d’une mère pour son fils, Continuer est aussi un grand livre d’aventures, sauvage et abrupt, d’une splendeur visuelle qui appelle à l’adaptation cinématographique, à moins que Bartabas ne tombe dessus, et ne s’en inspire pour un prochain spectacle. Au plus près de la nature (roche, limon, lac, glacier, forêt) Mauvignier signe un somptueux western où les chevaux sont rois. Doubles des héros, à la fois témoins, soutiens et médiums, ils soufflent et crapahutent, sondent et protègent, se cabrent et se soumettent, mus par des élans de fusion et d’indépendance. Ils habitent les plus belles pages du livre, avec un passage d’anthologie où l’action est décrite par son reflet dans l’oeil d’un cheval. Effet miroir vertigineux, où Mauvignier parvient à dire l’unité de l’homme, de l’animal et du cosmos, malgré la plu­ralité des phénomènes et des cataclys­mes, dont toute son oeuvre littéraire recolle les morceaux.

Samuel doit son prénom à la passion de sa mère pour Beckett. Il connaît cette désintégration totale que provoque l’angoisse de solitude. Sa peur « de se diluer en l’autre, de devenir l’autre » le pousse au rejet de toute différence, au fantasme d’une France blanche, lisse et repliée sur elle-même. Son voyage va lui enseigner qu’il fait partie d’un tout, solide et fourmillant. Ainsi pourra disparaître sa crainte de l’avenir, que Laurent Mauvignier déjoue avec une utilisation passionnante du futur dans ses phrases. Il réserve ce temps au récit des disparitions, des morts, comme pour les retarder, les mettre en suspens, et préserver l’instant d’avant la chute.

Continuer ? On continuera. Attenti­vement, avidement, on suivra cet écrivain en mouvement. — Marine Landrot

 

Ed. de Minuit, 240 p., 17 €.

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