City on fire

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City on fire

C’était dans la nuit froide de New York, au soir de la Saint-Sylvestre 1976. Il y eut soudain juste « un éclat, une impureté métallique dans le silence ». Un bruit si ténu qu’on pourrait croire l’avoir imaginé. Mais non, un corps gisait bien dans une allée de Central Park. « Une fille, cheveux courts. Le visage tourné vers le ciel, vers la cascade de lumière qui ricochait au-dessus du mur, la tête impossiblement tordue en arrière. Elle était inconsciente, peut-être morte. Du sang avait coulé de son épaule et s’était répandu en colorant la neige… » La tentative de meurtre contre la jeune Sam, Samantha Cicciaro, 17 ans, est l’un des fils narratifs autour desquels le romancier Garth Risk Hallberg a construit City on fire. Qui n’est pourtant pas un roman noir. Quoique. Si, en fait, il l’est. Et tout ensemble également roman d’apprentissage, saga familiale, fresque urbaine, roman historique et documentaire — et il est possible qu’on en oublie…

D’une folle ambition, et follement réussi, City on fire entrecroise, sur près de mille pages, les destinées d’un groupe de personnages qui ont en commun de vivre à New York, au cours de la période qui va de cette ultime nuit de l’année 1976 jusqu’au « black-out » du 13 juillet 1977 qui plongea la cité de longues heures durant dans le noir. Une panne générale et un immense désordre corollaire qui semblent la métaphore de l’état de la métropole américaine à ce moment de son histoire, c’est-à-dire avant l’opulence, la gentrification proliférante, la grande métamorphose des années 1980 : une ville au bord de la banqueroute, violente, corrompue, anarchique, sale, bruyante, socialement hétérogène, potentiellement explosive, mais aussi lieu d’une grande liberté, d’une formidable circulation des énergies et des individus.

C’est dans ce décor mouvant, turbulent, contrasté que Garth Risk Hallberg fait évoluer sa galerie d’attachantes figures : Charlie, l’adolescent banlieusard de Long Island, ami de Sam, comme elle aimanté par l’irrévérence et la vitalité du monde punk ; William, héritier en rupture de la riche dynastie new-yorkaise des Hamilton-Sweeney, ancien musicien punk, désormais artiste plasticien ; Mercer, l’amant noir de William, aspirant romancier débarqué deux ans plus tôt de sa Géorgie natale ; Regan, la soeur de William, et Keith, son mari volage ; et tant d’autres encore… De chacun d’eux, City on fire est le roman d’apprentissage, résolument et ouvertement dickensien. C’est d’ailleurs de cette façon qu’en dépit de sa structure très architecturée (sept chapitres, séparés par des interludes de formes diverses, extraits de journal, lettre manuscrite d’un père à son fils, pages arrachées à un fanzine d’adolescent… qui sont autant de points de vue sur l’époque), en dépit de l’ampleur du casting et de l’atmosphère très seventies dans laquelle baignent les intrigues, on avale ce roman très contemporain : d’une traite et sans aucune sensation d’effort ou de lassitude, comme on avait embrassé naguère les aventures de Pip, partagé ses Grandes Espérances

Un pied chez Charles Dickens, quelque chose aussi du tonitruant Tom Wolfe du Bûcher des vanités — la presse américaine a comparé aussi volontiers le roman au Chardonneret, de Donna Tartt, à Outremonde, la fresque de Don DeLillo —, l’un des mérites remarquables de Garth Risk Hallberg est de savoir tenir l’équilibre entre ces diverses et multiples références et, au milieu d’elles, de parvenir à une tonalité, un regard, une voix qui lui sont propres. Sans jamais sacrifier à l’ampleur de son projet le souci du détail et l’empathie qui sont les marques d’un vrai romancier. — Nathalie Crom

 

Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elisabeth Peellaert, éd. Plon, coll. Feux croisés, 992 p., 23,90 €.

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