Celle que vous croyez

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Celle que vous croyez

Est-ce chez Marivaux, que prise tant l’agrégée de lettres Camille Laurens, ou dans les films français d’avant guerre, que soubrettes et jeunes filles d’autrefois répliquent aux valets et ­garçons trop entreprenants « Je ne suis pas celle que vous croyez » ? Histoire de briser là, ou de susciter, plus de désir ­encore… A l’heure d’Internet, de cette prétendue transparence des réseaux sociaux qui permet les manipulations d’identités, qui croit donc ce qu’on ­affiche être ? Qui s’en soucie ? Dans un vertigineux roman où réalité et mensonges se conjuguent jusqu’à la ­dépression, la folie, celle qui sut si bien raconter les frissons du désir nous ­entraîne dans un labyrinthe où tout se perd, se déconstruit et peut-être se ­retrouve. Grâce à l’écriture.

Car l’amour éperdu de l’héroïne ­romancière — Claire, proche de la cinquantaine — pour un photographe trentenaire vaguement escroc, qui la rejettera une fois connu un âge qu’elle ne paraît pas, se sublime par le récit qu’elle en fait. Un récit pourtant tortueux, entre perversités nourries de Choderlos de Laclos et mises en abyme puisées chez Borges et Pirandello. Pour séduire son jeune amant, Claire prend en effet l’identité d’une femme de 24 ans et jongle d’un profil (virtuel) à l’autre tout au long d’une calamiteuse histoire d’amour qui la conduira à l’hôpital psychiatrique. Les voix et les témoignages se mêlent dans cette descente aux enfers amoureux mâtinée, ou pas, d’autofiction, d’« écriture de soi », préfère dire Camille Laurens. Elle s’en amuse ici, écrivant à « son » éditeur, évoquant les problèmes juridiques que poseraient trop de personnages « authentiques ».

Mais comment distinguer le vrai du faux dans ce merveilleux ouvrage d’art littéraire ? Dès qu’il y a mots, couchés sur le papier, n’y a-t-il pas re-création ? Camille Laurens est même plus radicale. Claire affirme que le réel ne prend vie qu’une fois écrit. Avoue ne plus voir de différence entre désir d’écrire et désir de vivre. Cette langue avec laquelle on parle, mange, embrasse, lèche, n’est-elle pas la même que celle avec laquelle écrivent les écrivains ? C’est donc en terme de survie, aussi, que ses éblouissantes « fausses confidences » se nouent et se dénouent sur un théâtre de faux-semblants et de manipulations. Mortifère jeu de dupes ? Tant mieux. « Quelle peine est vraiment perdue si elle aboutit à un livre ? » avoue la magicienne des illusions perdues et infiniment recommencées de soi… — Fabienne Pascaud

 

Ed. Gallimard, 192 p., 17,50 €.

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