Blasphème, brève histoire d’un « crime imaginaire »

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Blasphème, brève histoire d’un « crime imaginaire »

« Tu ne prononceras pas à tort le nom de YHWH ton Dieu, car YHWH ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom. » De l’interdit proféré par l’Ancien Testament jusqu’aux caricatures de Mahomet, cause des crimes perpétrés en 2015 contre Charlie Hebdo, la question du blasphème (1) n’a cessé de s’inviter dans l’Histoire. Quel rapport entre les moines fainéants ou abbés paillards représentés dans les cathédrales, le crime de « lèse-majesté divine », qui sévit lors des guerres de Religion, le chrétien Léon Bloy, qui, en croyant déçu (tel Job) et malheureux, s’en prend au Christ dans son roman autobiographique Le Désespéré (1887), et les déclarations de Michel Houellebecq, qui peu après le 11 Septembre, jugea que l’islam était la religion « la plus con » ?

Ce sont les « avatars successifs » du blasphème que l’historien du droit Jacques de Saint-Victor — auteur notamment en 2012 d’Un pouvoir invisible, sur les mafias et le pouvoir démocratique — passe en revue dans cette Brève Histoire d’un « crime imaginaire ». Une brève mais néanmoins robuste mise en perspective politique et juridique, dont on regrettera seulement le ton plus idéologisé et partisan qui s’exprime dans le dernier chapitre autour de « l’islamophobie » — chapitre dans lequel l’auteur tacle les « défenseurs de l’islam des défavorisés ». Atteinte commise à l’égard des « croyances religieuses, des divinités ou des symboles religieux », le blasphème s’exprime par « des paroles, des écrits, ou toute forme d’expression réprimée par un texte juridique qui les assortit de sanctions ».

Craint par les rois, ce péché (religieux) devenu crime (politique) fut théoriquement aboli par l’Assemblée constituante au début de la Révolution, en 1791. Après ce procès de trop, cheval de bataille de Voltaire dans sa lutte contre le fanatisme : la mise à mort en 1766 du chevalier de La Barre (os brisés et tête coupée, cadavre brûlé sur un bûcher avec un exemplaire du Dictionnaire philosophique de Voltaire fixé au torse, et au dos une pancarte : « impie, blasphémateur et sacrilège exécrable »). Il fut notamment accusé d’avoir refusé d’ôter son chapeau au passage du Saint-Sacrement, lors de la Fête-Dieu.

Jacques de Saint-Victor nous apprend encore que « Jour de Dieu ! » était le juron favori de Charles VIII, quand Louis XII, lui, appréciait « Que le diable m’emporte ! ». Morbleu, parbleu, pardi, sang-bleu ! Dieu ou bleu, une question de vocabulaire… Pour éviter l’usage gênant du juron « Jarnidié » (je renie Dieu), le confesseur d’Henri IV, le père Cotton, suggéra au roi de laisser de côté le nom de Dieu pour lui préférer… le sien, d’où la vogue de « Jarnicoton ». Dans nos sociétés séculières et laïques, le blasphème semblait avoir disparu, désuet, hors de propos, remplacé par la question, moins imaginaire, de l’injure à la personne ou de l’incitation à la haine. Les attentats de janvier 2015 en ont, malheureusement, décidé autrement. — Juliette Cerf

 

(1) Signalons aussi La critique est-elle laïque ? Blasphème, offense et liberté d’expression, de Talal Asad, Wendy Brown, Judith Butler et Saba Mahmood, Presses universitaires de Lyon, et Les Bûchers de la liberté, d’Anastasia Colosimo, éd. Stock.

 

Ed. Gallimard, 130 p., 14 EUR.

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