Autour du monde

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Autour du monde

Jusqu’à présent, Laurent Mauvignier écrivait des livres en crevasses avec des phrases longues et stridentes qui accompagnaient la chute de personnages entrés malgré eux dans l’Histoire, victimes effarées de la précipitation tragique des événements : le drame du stade du Heysel pour Dans la foule, la guerre d’Algérie avec Des hommes ou la mise à mort d’un voleur de bière par les vigiles d’un supermarché dans Ce que j’appelle oubli. L’écrivain n’avait pas son pareil pour démêler les fils liant l’intime à l’universel, et peaufinait humblement son oeuvre en apnée, sectionnant ses phrases en milieu de ligne, puis les laissant couler sur des pages et des pages, comme des blessures impossibles à panser.

Il revient aujourd’hui avec un roman sphérique, un roman globe, traversé d’histoires au laser qui fendent la croûte terrestre pour rejaillir de l’autre côté de la planète. La terre tremble, ce 11 mars 2011, et, tout autour du monde, chacun sent sa tectonique intérieure à l’oeuvre. Laurent Mauvignier capte les secousses mentales d’une série de personnes apparemment prises au hasard, ce jour-là, au Japon, en Israël, en Russie, à Dubai, en Tanzanie ou en Floride. De petites vignettes photographiques en noir et blanc, grandes comme des timbres-poste pour affranchissement grande vitesse, séparent les récits, ou plutôt les unissent, car le passage d’une histoire à l’autre se fait avec une impressionnante fluidité. Ces arrêts sur image semblent tirés de films de Pialat, Resnais, Flaherty, Varda ou Depardon, comme surgis de la profondeur des mémoires, impressions hébétées coupées de leurs racines, figées par un traumatisme secret. Ce sont aussi les traces de la photomania facile et contemporaine, poussières chassées des yeux à chaque clignement, vestiges anonymes de vies vouées à la disparition.

Plus douce, plus accessible sans doute, l’écriture de Laurent Mauvignier n’a plus les brisures ni la rage d’antan. Elle reste convulsive par moments, continue de suivre les mouvements infimes ou brutaux des corps, mais quelque chose a changé dans le ton, la colère s’est calmée pour laisser place à l’acceptation. Pas la soumission, juste la compréhension organique de l’inéluctable insignifiance des choses. Qu’ont en commun cet employé philippin d’un grand hôtel de Dubai, conscient que « les hommes simples ne sont pas là pour éclairer le monde de leur lumière mais seulement pour le servir », et ce retraité flingué sous les yeux de sa femme par des pirates des temps modernes dans le golfe d’Aden ? Qu’est-ce qui rassemble ce futur papa russe, tenté par une aventure homosexuelle le jour de l’accouchement de sa femme, et ce vieux passager d’une croisière, amnésique et abusif, prenant sa fille pour une infirmière alors qu’elle ferait bien de soigner sa vie de femme ? Tout et rien, et c’est ce grand écart qui intéresse Laurent Mauvignier, ce doute permanent sur les relations de cause à effet, cette absence de certitudes malgré les similitudes flagrantes, les recoupements, les hasards troublants.

Son roman dit la folle contradiction de la globalisation, cette circulation éclair des informations et des hommes dans un univers qui multiplie les solitudes. Il pointe le paradoxe de l’accessibilité qui éloigne, de la communication qui isole, du fourmillement qui finit par faire embouteillage. Et surtout, il montre combien chacun a perdu son centre de gravité, dans un monde où l’on bouge sans cesse, où les voyages font de chaque lieu un chez soi possible. Le véritable exploit est d’avoir fait un livre aussi solide sur le chancellement. Le secret de sa rotation altière et puissante ? Le point fixe de Laurent Mauvignier reste la littérature. Jamais fabriquée, à la fois instinctive et très maîtrisée, la langue est sa terre d’attache. Et sa nécessité d’écrire, tellement palpable, tellement absolue, fait de chacun de ses romans un kit de survie infaillible. — Marine Landrot

 

Ed. de Minuit 372 p., 19,50 €

En librairie le 4 septembre.

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