À la table des hommes

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À la table des hommes

C’est dans un monde en ruines, un monde d’apocalypse, que Babel va avoir à se réinventer et s’apprivoiser lui-même. Quel violent conflit a donc embrasé la planète, semé la guerre ­civile par-delà toutes les frontières ? Et qui donc est ce Babel, bientôt rebaptisé Abel ? Il courait il n’y a pas si longtemps à quatre pattes dans la forêt, grouin au vent derrière son amie la corneille voletant haut dans le ciel ; sans oublier de téter au passage le sein de cette mère à l’agonie dont on venait d’assassiner l’enfant…

Références bibliques — de la Genè­se à l’Ecclésiaste — et images bruissant de nature, de violence et d’animisme mêlés, dignes des enluminures médiévales, nourrissent l’étonnant roman de Sylvie Germain. Elle y explore les fragiles frontières entre l’homme et l’animal, la nature et la culture, l’art et la politique aussi, et la responsabilité, l’engagement des artistes. Les plus farouches résistants à la terreur et à la dictature omniprésentes ne sont-ils pas ici de vieux clowns retraités des chapiteaux ? Jamais de grands mots, de théorie fumeuse dans le récit aux petits points de Sylvie Germain, d’une telle précision, d’une telle attention à la sensation, au regard, à l’écoute qu’elle embarque le lecteur aux limi­tes mêmes de la perception, au bord du fantastique.

Quasi-peintre, ou semblant comme en contemplation devant les choses, les êtres vivants, la romancière se plaît à décrire les charmes mystérieux de la forêt, des jardins, de la campagne, des demeures sombres. Comme pour écrire une autre et merveilleuse ­légende. Alors, quand surgissent la guerre et son cortège d’attentats, ses cruautés indicibles, on est bouleversé par l’actualité soudaine du conte, cet art que possède l’essayiste et écrivaine de tisser en fée philosophe l’hier et l’aujourd’hui, le mythique et le ­réalisme (allusions au fanatisme religieux et à Daech), le sacré et profane. Ici ­Babel-Abel le héros hybride — ex-­cochon-homme en perpétuel devenir — se fiche pas mal d’ignorer d’où il vient. Dans ce roman d’initiation dans la grande tradition romantique des enfants sauvages du xixe siècle, peu lui importe la mémoire. Plutôt l’art et la grâce de savourer l’instant. Conseil plein de générosité, de compassion et de tendresse pour survivre et nous consoler de notre monde en vrac. — F.P.

 

Ed. Albin Michel, 272 p., 19,80 €.

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