Le Musée chrétien

Ajouter un commentaire

Le Musée chrétien

Vous vous demandiez peut-être qui pouvaient être sainte Angadrême, sainte Vérène ou saint Libéral, ou autre saint Venant ? Vous cherchiez confusément ce qu'étaient un tabernacle, un camail, un brucolaque ? Quel était le sens de cette licorne, animal pourtant réputé fantastique, aux pieds de la Vierge ; de cet agneau couché aux pattes entravées ; ou de ce minuscule chardonneret bombant fièrement son poitrail rouge sang aux côtés de cette autre Vierge à l'enfant ? Le Musée chrétien, de Jean-Pie Lapierre, est fait pour vous. C'est-à-dire trois volu­mes de 2 700 pages, soit un dictionnaire protéiforme, réalisé en quinze ans de travail solitaire. Juste après que cet éditeur spécialisé dans les religions et l'histoire a pris sa retraite, au bout de trente ans de brillants et loyaux services aux éditions du Seuil. A 77 ans, il contemple désormais l'œuvre accomplie avec modestie : « Je suis juste un amateur qui aime et veut faire aimer », confie-t-il.

Des années qu'il entasse, collectionne, classe les images dénichées en se promenant, en lisant, ou en visitant. Et toutes les formes de christianisme le passionnent, d'hier et d'aujourd'hui, d'est en ouest, du nord au sud : il croit à l'effet « masse ». Il croit qu'à force d'accumuler les images et à force de les regarder, de chercher à les pénétrer, on se forge l'œil. Tout seul. Mais avec pareil prénom aux consonances si ­papales – « Jean-Pie » Lapierre –, sans doute notre dictionnariste était-il prédestiné. Dans sa famille très catholique, les filles avaient pour deuxième prénom Marie, et les garçons celui du pape en fonction : Pie XI à la naissance de Jean-Pie. Qui se défend cependant d'avoir réalisé ici un quelconque ouvrage d'édification ; encore moins un livre d'esthétique ou d'histoire de l'art, ou même un simple « beau livre », comme on dit. Ses 2 700 pages denses et serrées où ne déborde pas l'iconographie (son coût aurait rendu irréalisable pareil projet), visent simplement à retrouver et à transmettre des signi­fications perdues. Comment comprendre telle oeuvre de Bellini, Cranach ou Zurbarán, de Van Eyck ou de Philippe de Champaigne si on n'en ­saisit plus les symboles cachés ? Trop de chefs-d'oeuvre à la gloire de la religion chrétienne sont devenus aujour­d'hui des témoignages obscurs, dont on a perdu les secrets.

C'est donc pour affiner notre lecture et perception des tableaux, sculptures et rituels, améliorer notre culture d'honnête homme et femme d'un xxie plutôt déchristianisé, que l'auteur s'est lancé ce défi : rivaliser à sa façon avec Le Musée imaginaire d'André Malraux (1947). On sait que le mythique minis-tre de la Culture de Charles de Gaulle voyait dans l'art de toutes les époques et de toutes les civilisations un désir commun à tous les hommes de lutter contre la mort, de se dépasser et d'atteindre l'éternité, en se réappropriant les dieux et le monde. Il avait, lui aussi, toute son existence durant et tout au long de ses périples aux quatre coins de la planète, répertorié les images et les formes, les comparant les unes aux autres à travers les âges et les espaces pour montrer combien l'art est intemporel, universel, dans sa quête tragique et toujours recommencée de transfigurer la mort.

Noble parrainage. Jean-Pie Lapierre se veut toutefois moins prophétique. C'est d'une écriture simple qu'il a rédigé les centaines d'entrées qu'on picore avec curiosité. Presque avec gourmandise, tant le style direct de l'érudit passeur sait faire digérer un savoir accumulé ­depuis des années. D'Aaron à Zvon. Malgré le titre choisi, Le Musée chrétien, il avoue ne toujours pas savoir vraiment ce qu'est l'« art chrétien ». Un des termes les plus passionnants du dictionnaire – « Assimilation » – explique pourtant à quel point cet art-là sut s'enrichir des cultures affrontées et même combattues. Jusqu'à ce qu'il irrigue lui-même en retour certaines légendes d'aujourd'hui : le visage christique de Che Guevara en est un exemple.

Des empereurs byzantins à Calvin, de Luther aux papes romains, le rapport à l'image des autorités et théologiens chrétiens (orthodoxes et protestants compris) fut souvent paradoxal et tourmenté. Qu'elle soit purement et simplement interdite (Calvin), tolérée à des fins pédagogiques (Luther) ou admise en toute liberté (l'Eglise romaine) ; même si les centaines de nus du Jugement dernier imaginés par Michel-Ange pour la chapelle Sixtine firent un temps polémique… Mais après tout, la véritable beauté n'est-elle pas invisible pour les yeux ? Le Père de l'Eglise Origène (IIIe siècle après Jésus-Christ) enseigne en effet que nous avons de véritables sens intérieurs : un toucher, un odorat, une vue, une ouïe, un goût intérieurs auxquels le seul visible fait justement obstacle dans le chemin de l'imaginaire vers l'inimaginable… Et que ceux qui s'interrogeaient sur la licorne, l'agneau entravé ou le chardonneret au rouge plastron sachent que la licorne trop cruelle est vaincue par la Vierge, que l'agneau annonce la Passion du Christ et que le beau rouge du chardonneret le récompense d'avoir ôté de son bec les épines du front du Christ en croix.

 

Que sonne le zvon !

Le dictionnaire se clôt sur Zvon , « mot russe désignant la sonnerie des clochers, caractérisée par le rythme des graves et des aigus plutôt que par les consonances, les cloches orthodoxes n'étant jamais accordées. Du XVIIe au XXe siècle, le zvon a désigné un style musical russe inspiré des cloches, qu'utilisèrent Rimski-Korsakov, Prokofiev, Arvo Pärt… En 1913 était créée à Saint-Pétersbourg la symphonie chorale Les Cloches, de Rachmaninov, inspirée d'un poème d'Edgar Allan Poe. »

 

 

 

Commandez le livre Le Musée chrétien

Laisser une réponse