Une vie de reine

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Une vie de reine

« La famille royale est tout simplement une famille », écrivait le romancier anglais Martin Amis l’an dernier, dans les colonnes du New Yorker. Constatant, ironique et fataliste, le caractère immature voire irrationnel de l’attachement qu’elle suscite chez les Britanniques. Et contraint d’en tirer cette conséquence cruciale : « Avec les Windsor, un drame familial devient immanquablement un drame national. » Une histoire de famil­le, c’est bel et bien ce que brosse Annick Le Floc’hmoan, dans cette biographie, certes centrée sur la personne d’Elizabeth II — née Elizabeth Mary Alexandra Windsor le 21 avril 1926, devenue reine le 6 février 1952 à la mort de son père George VI, couronnée un an plus tard, le 2 juin 1953, à l’abbaye de Westminster —, mais où abondent, comme dans toute saga bien fichue, les seconds rôles et les figurants : aïeux, enfants et petits-enfants, domestiques, nurses, courtisans, écuyers, serviteurs de la monarchie de tous grades, au total une foultitude de personnages entre lesquels se nouent, se creusent, se résolvent aussi parfois, des mésententes, des rivalités, des trahisons, des frustrations… tout l’éventail des onduleuses relations humaines. Dont l’enchaînement, au fil du temps, dessine « le roman des Windsor ».

L’histoire contemporaine de l’Angleterre, le noeud familial, les frontières poreuses entre les sphères intimes et publiques sont des sujets que connaît bien Annick Le Floc’hmoan, qui déjà s’est adonnée à l’exercice de la biographie familiale, brossant il y a dix ans le passionnant portrait de groupe des six soeurs Mitford (1) — de Nancy l’aînée, l’auteure caustique de L’Amour dans un climat froid, maîtresse pendant trente ans du diplomate et résistant gaulliste Gaston Palewski, à Deborah la cadette, devenue duchesse du Devonshire, passant notamment par Diana, qui épousa en secondes noces le leader fasciste bri­tannique Oswald Mosley, et Unity, qui adhéra au parti nazi. Dans le cas des Windsor, l’inscription de l’histoire familiale dans le cadre plus large de l’histoire collective britannique s’impose avec évidence, et, derrière le récit précis de l’existence d’Elizabeth, des jupes de sa nurse, l’austère et dévouée Allah, jusqu’au trône sur lequel elle est assise depuis plus de soixante ans, c’est un siècle de l’histoire du royaume que dessine la biographe, par touches souvent impressionnistes.

L’histoire du règne des Windsor commence en 1917, lorsque George V — le petit-fils de Victoria, et grand-père d’Elizabeth —, en pleine Première Guerre mondiale et alors que le sentiment anti-Allemand est fort, décide de changer le nom de la dynastie, alors Saxe-Cobourg-Gotha et historiquement étroitement liée aux maisons royales germaniques. Ainsi naissent, avec le XXe siècle ou presque, les Windsor. C’est au même George V que l’on doit la décision, hautement politique, de faire des événements privés de la vie de la famille royale un spectacle offert à la vue de tous les citoyens britanniques — et au-delà. Annick Le Floc’hmoan resitue le contexte politique sur le fond duquel se développe l’histoire commençante de la dynastie (crise économique, con­testation sociale, lente désagrégation de l’Empire…), ainsi que le contexte médiatique (développement de la presse populaire et people) dont la famille royale saura jouer pour enraciner sa popularité, renforcer l’attachement du peuple britannique à l’institution monarchique, dans une Europe moderne où domine le sentiment républicain.

Ça, c’est pour le décor en plan large, mais la biographe privilégie souvent la focale intimiste, pour retracer avec un luxe de détails la vie de la reine et des siens. C’est souvent passionnant — mê­me si l’intérêt s’émousse un peu lors­qu’on aborde les rives des temps très contemporains. Intelligente, distante, vo­lontiers spirituelle en privé, hautaine et guindée en public, l’inébranlable Elizabeth s’en sort plutôt bien — personnage complexe et mystérieusement attachant, portant sur les épaules un legs bien pesant.

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