Une famille passagère

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Une famille passagère

Elle apparaît comme un fantôme dans le parc d’attractions près de la station balnéaire de Margate, un après-midi d’août 1938. Elle n’a pas de nom, apparemment aucun projet précis en sortant du cinéma et regarde le paysage. La mer paraît si calme au milieu de l’effervescence des manèges, des marchands de glace, de la foule énervée. C’est alors qu’elle saisit un landau sans surveillance et gagne son Austin garée un peu plus loin.

Comme dans le magnifique Julius Winsome, premier roman paru en 2009, Gerard Donovan balaie la psychologie pour décrire les faits sans fioriture. On apprend peu à peu que le geste de l’inconnue est prémédité, qu’elle s’est procuré des couches et du lait avant de transformer sa voiture en domicile, recréant dans cet habitacle minuscule une vie de famille rêvée. Le malaise se diffuse lentement quand on la voit scruter le désarroi puis le désespoir des parents du bébé, allant jusqu’à les approcher et faire semblant de participer aux recherches. « C’était cruel de ma part d’être curieuse », dit-elle calmement. Femme au visage « ordinaire », elle envisage de devenir la mère officielle, en baptisant l’enfant d’un autre nom, le serrant dans ses bras. Mais elle est désemparée lorsqu’il crie et la repousse.

Au coeur d’un paysage changeant, entre pluie de septembre et rayons de soleil estival, Gerard Donovan déploie une écriture où chaque mot est mesuré pour mieux suggérer le délire. Et le rythme, toujours retenu, comme freiné, accompagne le cheminement de la folie. On tourne les pages, hésitant entre pitié, empathie et frayeur. Austère et poétique, le romancier adopte les raisonnements de son héroïne sans dissiper ses mystères, ses failles et la douleur de son passé. Puis il nous laisse avec elle, dans une solitude définitive à briser le coeur. — Christine Ferniot

 

A place for Albert, traduit de l’anglais par Georges-Michel Sarotte, éd. du Seuil, 192 p., 17,50 €.

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