Un truc très beau qui contient tout

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Un truc très beau qui contient tout

Le génial Ginsberg, dont il avait été l’amant, a glissé dans les premières pages de Howl cette dédicace à Neal Cassady : « NC héros secret de ces poèmes, baiseur et Adonis de Denver… » Quant à Kerouac, dans le portrait qu’il a dressé de Cassady, à peine dissimulé sous les traits du Dean Moriarty de Sur la route, il en résume ainsi l’itinéraire avant leur rencontre au milieu des années 1940, à New York : « Dans l’Ouest il avait passé un tiers de son temps dans les salles de billard, un tiers en prison, et l’autre tiers dans les bibliothèques publiques. » De l’épopée Beat, Neal Cassady est un protagoniste majeur – assurément « un ­héros, le héros qui nous faisait avancer », expliquait, pour sa part, le romancier Ken Kesey, l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, héritier direct de la Beat generation et qui, lui, côtoya Cassady dans les années soixante.

Né en 1926, grandi à Denver auprès d’un père instable et alcoolique, adolescent délinquant et coriace – « à 20 ans j’avais volé cinq cents voitures et connu autant de femmes… » –, arrivé à New York à 21 ans et d’emblée adopté par Ginsberg, Kerouac et leurs pairs, Neal Cassady est demeuré dans la légende du mouvement Beat non pas comme un artiste, mais plutôt comme une icône. Une muse. Un type hyper­actif et un séducteur doté d’une aura incroyable, dont l’énergie contagieuse mit en mouvement ceux qui croisèrent son chemin. Tout cela est juste. Ce qui l’est moins, c’est de ne garder de Cassady que l’image d’un Beat sans œuvre – certes, il fut un inspirateur et un mentor, mais plus encore que son autobiographie, Première Jeunesse, ses lettres, dont on peut lire aujourd’hui en français un premier recueil (1940-1950), le révèlent aussi écrivain, des plus puissants et saisissants.

Kerouac et Ginsberg, mais aussi les femmes importantes de sa vie (LuAnne, Carolyn, Diana Hansen) sont les interlocuteurs permanents de Neal Cassady. L’avidité est le trait de caractère majeur qui se dégage de l’autoportrait que dessinent ses lettres, saturées par l’aveu sans cesse réitéré de la fureur de vivre qui habite le jeune homme. L’ivresse de l’action n’allant pas sans l’élan spirituel, sans non plus la volonté omni­présente, tantôt euphorique, tantôt anxieuse, de comprendre, de s’exhaus­ser, de changer – de sonder, et peut-être combler, écrit-il, « ce manque en [lui] » dont la conscience le hante.

On saisit avec acuité, lisant ces pages âpres, rapides, tendues, ces blocs de texte compacts et sans ponctuation, combien et pourquoi le geste authentiquement littéraire de Neal Cassady – certaines longues lettres sont de magnifiques moments de prose – a pu susciter l’admiration de Kerouac, ce que l’auteur de Visions de Cody a pu y apprendre : un mélange de sophistication et de spontanéité, de trivialité et de hauteur de vue. « Dors avec Dante, éprouve avec Shakespeare, travaille avec Eliot & Auden, joue avec Goethe & Proust, commets des péchés avec Dostoïevski & Kafka, souffre avec Baudelaire & Rimbaud… », conseille Cassady à son ami Bill Tomson. Son ­objectif à lui étant de parvenir – par la vie, par l’amour, par les excès en tout genre, par l’écriture – à « une saine connaissance de [soi]-même », afin de ne pas demeurer « ce type condamné à l’échec » tel qu’il se voit trop souvent.

Une tête brûlée doublée d’un archan­ge, tel apparaît Neal Cassady dans le roman d’apprentissage que tracent peu à peu ces missives. Qui confirment d’admirable façon cette analyse de Ken Kesey : « Des critiques aiment à dire que les beatniks avaient des envies de mort. Cassady n’avait certainement pas d’envie de mort. Il avait envie d’une chose plus immense que la vie, envie d’éternité. »

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