Trois Saisons à Venise

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Trois Saisons à Venise

En 2012, Matthias Zschokke a reçu un cadeau empoisonné de la part d’une fondation suisse : neuf mois de résidence d’écriture dans un bel appartement de Venise, aux frais de la princesse. A l’issue de cette gestation au creux d’un nid doré, l’auteur de Maurice à la poule (prix Femina étranger 2009), n’avait pas pondu une ligne. Une ligne de roman, s’entend, car l’épais volume qui paraît aujourd’hui prouve que, durant son séjour, le clavier de son ordinateur a autant « cliqueté » que les pattes des pigeons sur la place Saint-Marc. Chaque jour, Matthias Zschokke (prononcer « Choqué », précise-t-il sans épiloguer) a écrit des flots de courriels à ses proches comme à ses lointains, et sans doute avant tout à lui-même, pour exorciser la honte qui le tenaillait, pauvre profiteur gavé de beauté, incapable de remplir noblement sa mission d’écrivain.

Amusante et désespérée, cette correspondance à sens unique (les ré- ponses des destinataires restent confidentielles) ne tardera pas à figurer parmi les conseils de lecture des guides de voyage sur Venise. Rien n’échappe à l’oeil aussi ronchon que ravi de Zschokke. Les cafés qu’il faut boire comme un chien lève la papatte, les touristes aussi indispensables au paysage que le sable dans le désert, les vaporettos qui se cognent contre les pontons comme les vaches heurtent de leur séant les portes de l’étable… Gaston Lagaffe avait sa mouette rieuse, Matthias Zschokke a son goéland, prénommé Jerom, volatile adolescent dont il narre avec drôlerie les premiers essais de vol.

L’écrivain mange (trop), dort (mal, à cause des moustiques), reçoit des amis (envahissants), visite des musées (éblouissants). Il se sent vieillir, l’aigreur le guette, le doute l’asticote. Mais son écriture est une couverture douce, chatouilleuse parfois, enveloppante toujours, dans laquelle il peut faire ses griffes sans dégâts pour personne. Et se blottir indéfiniment. — Marine Landrot

 

Die strengen Frauen von Rosa Salva, traduit de l’allemand (Suisse) par Isabelle Rüf, éd. Zoé, 384 p., 22,50 €.

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