Trilogie de Corfou

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Trilogie de Corfou

La scène inaugurale de Trilogie de Corfou met en scène, un jour d’août 1935, à Bournemouth, au sud de l’Angleterre, la tribu Durrell d’humeur morose. C’est l’été, mais il fait gris, froid, venteux, « un temps idéal pour éprouver la patience humaine ». Autour de la mère, les quatre enfants : Larry, l’aîné, 23 ans – il s’agit de Lawrence, l’auteur futur du Quatuor d’Alexandrie (1957-1960) –, Leslie et Margo, les cadets, enfin Gerry, le benjamin, âgé de 10 ans tout juste. Installée en Inde depuis plusieurs générations, la famille est arrivée en Angleterre il y a sept ans, après la mort prématurée de Mr Durrell. Elle s’ennuie. « Pourquoi ne pas partir en Grèce », suggère Larry à sa mère. « C’est ridicule, mon chéri, et absolument hors de question », répond fermement Mrs Durrell… Quelques jours plus tard, la maison de Bournemouth est vendue et les malles sont faites, et les voici tous les cinq en route vers le sud de l’Europe. Destination : Corfou. Dans ses bagages, en vue de ce séjour qui s’annonce comme une nouvelle expatriation plutôt que des vacances, Gerry a prévu l’essentiel : « Quatre livres d’histoire naturelle, un ­filet à papillon, un chien et un pot de confiture plein de chenilles sur le point de se transformer en crysalides. »

Les Durrell passeront cinq ans à Corfou, et de ces années, le benjamin, Gerald Durrell (1925-1995) a rapporté, outre une vocation confirmée de naturaliste – c’est la profession qu’il a pratiquée sa vie durant, auteur de nombreux ouvrages et documentaires, et fondateur du zoo de Jersey –, le matériau de ces Mémoires devenus un classique de la littérature britannique du xxe siècle, dont les éditions de La Table ronde proposent aujourd’hui la première version intégrale en français. Un récit plein d’excentricité joyeuse et de sensations pures, d’un bout à l’autre duquel Gerald Durrell laisse toute la place, toute la parole à Gerry, le petit garçon qu’il fut, découvrant les yeux grands ouverts la merveilleuse profusion de la faune méditerranéenne de l’île, sorte de paradis terrestre préservé où s’offrent à lui, intactes, vivantes, la Création et ses merveilles.

L’exploration est minutieuse et systématique, menée souvent en compagnie du chien Roger, et parfois sous la houlette du précepteur Theodore ­Stephanides, doux érudit et vrai poète. Commencée par le jardin, ses insectes, ses oiseaux, ses petits rongeurs, elle s’élargit à la campagne, aux plages, aux îles alentour, d’où l’enfant collectionneur ramène divers spécimens, si possible vivants, mante, chouette ou belette, qui envahissent bientôt la maison où ils pimentent le quotidien que ­Gerald Durrell met en scène avec une drôlerie résolument exempte de mièvrerie. Le spectacle sans fin des moeurs animales n’amène pas le garçon à omettre d’observer aussi la vie et les us des siens, avec la même curiosité, la même acuité – l’ironie en plus.

Le portrait de la fantasque famille Durrell – « un cirque ambulant et son personnel », résuma un fonctionnaire des douanes suisses, les ayant vu passer en 1939, sur le chemin du retour – est l’un des attraits forts de cette trilogie autobiographique, qu’on ne peut que soupçonner d’être un brin romanesque, puisque la réalité des faits dément notamment la scène initiale : en 1935, Lawrence Durrell était marié et déjà installé à Corfou, lorsque sa mère et ses cadets vinrent le rejoindre. Mais peu importe : c’est une tribu formidablement anticonformiste que l’on observe ici vivre sans contraintes, autour du personnage délicieux de la mère, la généreuse et flegmatique Mrs Durrell, que jamais n’affolent les extravagances diverses et répétées de sa brouillonne progéniture. Tel « un Noé plein de douceur, enthousiaste et compréhensif », elle est l’âme de ce récit, de cette ode exquise à la liberté.

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