Sauve qui peut (la révolution)

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Sauve qui peut (la révolution)

Godard en personnage de fiction, ça lui pendait au nez. Jusque-là, son culte (aveugle parfois) l’interdisait, mais désormais on arrive à chatouiller un peu la statue du commandeur. Tant mieux. Bientôt arrivera une comédie de Michel Hazanavicius, Le Redoutable, inspirée du livre d’Anne Wiazemsky, avec Louis Garrel (!) dans le rôle de la légende aux lunettes noires. En attendant, voici un pastiche savoureux, où l’on retrouve JLG en juin 1988. Jack Lang et Jean-Noël Jeanneney, président de la Mission du Bicentenaire de la Révolution française, lui passent commande d’un film autour de 1789. Les officiels savent à qui ils s’adressent, n’attendent de lui qu’impertinence. Godard renoue alors avec un vieil ami des années Mao, devenu un historien franc-tireur. Ce dernier est justement plongé dans l’écriture d’une uchronie où Danton n’aurait pas été guillotiné en 1794, mais aurait connu l’exil sur l’île de Chalonnes, puis croisé Napoléon sur l’île d’Elbe !

Du Maine-et-Loire au lac Léman, de siècle en siècle, le livre nous balade et nous embobine pour notre plaisir, entrecroisant au moins trois fils narratifs : l’exil picaresque de Danton, les aléas du film en préparation de Godard et sa liaison avec la douce Rose, jeune khâgneuse. Protéiforme et replet, Sauve qui peut (la révolution) réécrit l’Histoire avec esprit, s’amusant à faire émerger des points communs entre l’ogre jouisseur au nez camus et le créateur suisse, dont l’appétence des jeunes femmes. Pour son premier roman, Thierry Froger témoigne dans sa mystification d’un talent certain de portraitiste et de paysagiste. Il arrive aussi à dépasser l’exercice de style en s’interrogeant sur les vertus de l’allant révolutionnaire, sur la jeunesse en route et la déroute de la vieillesse, la mélancolie des idéaux enfuis. C’est sur Godard, génie et escroc, noble romantique et amoureux piteux, que le livre contient ses pages les plus fortes, tendrement cruelles. En englobant collage de textes (avec typos différentes), montage, poésie, roman, l’auteur lui rend au fond un bel hommage de connaisseur. — Jacques Morice

 

Ed. Actes Sud, 448 p., 22 €.

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