Révoltée

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Révoltée

Dès l’adolescence, Evguénia, née en 1902, enfant de la bourgeoisie intellectuelle juive de Saint-Pétersbourg, happée par la révolution de 1917 et les espoirs qu’elle suscite, forme le projet de travailler en usine. Rapidement ­devenue militante, vendeuse de journaux à Moscou, elle s’impose une ­discipline de fer, mange peu, abandonne ses études de philosophie pour partager le sort des plus pauvres et vivre dans la clandestinité. Mais vite, elle comprend que les bolcheviques ont mis la révolution « sous tutelle » pour en faire un régime figé et policier et qu’ils sont ainsi les vrais contre-­révolutionnaires. Mariée au poète Alexandre Iaroslavski, Evguénia va mener une vie aventureuse, fera des conférences à travers l’Union soviétique, ira à Berlin, à Paris et, revenue à Moscou, vivra parmi les voleurs et les prostituées, la pègre et la classe des « va-nu-pieds » constituant la seule classe sociale qui, selon elle, mène les vraies révoltes contre la société. Diseuse de bonne aventure, voleuse elle-même — elle détaille avec précision ses modes opératoires —, animée d’une haine féroce à l’égard des tchékistes, elle sera plusieurs fois arrêtée par la Guépéou, la police d’Etat, et retrouvera, à peine libérée, le monde de la rue, avant d’être de nouveau incarcérée puis déportée en Sibérie. Elle sera exécutée en 1931, à l’âge de 29 ans, dans le camp des îles Solovki (1) .

Ce récit brut et rugueux écrit en captivité, autobiographie d’une sincérité absolue (amputée des deux pieds après être passée sous un train, Evguénia évoque l’épisode comme une simple anecdote) a été découvert en 1996 dans les archives des services secrets russes. « Je n’ai rien à perdre. Voilà pourquoi je suis sincère », écrit-elle juste avant de mourir, revendiquant sa fierté de faire partie des intellectuels asociaux. Dans une postface, Irina Fligué, directrice du Mémorial de Saint-Pétersbourg, éclaire les circonstances dans lesquelles a été découvert ce manuscrit qui constitue un document exceptionnel et bouleversant sur les premières années de la Révolution russe. — Gilles Heuré

 

(1) L’écrivain Olivier Rolin, éditeur du livre, a consacré à ce camp le très beau documentaire Solovki. La Bibliothèque disparue (2014).

 

Ed. du Seuil, avant-propos d’Olivier Rolin, postface d’Irina Fligué, traduit du russe par Valéry Kislov, 176 p., 16 €.

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