Nue

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Nue

« Suis-je amoureux ? — Oui, puisque j’attends. » Le principe, posé par Barthes dans ses Fragments d’un discours amoureux, se vérifie pour le narrateur de Nue, le nouveau roman de Jean-Philippe Toussaint. Rentré à l’instant de voyage, les bagages non défaits abandonnés sur le sol à côté de lui, il est posté à la fenêtre, d’où il regarde partir le taxi qui vient de le déposer chez lui. Dans lequel est restée Marie. Et le voilà à attendre, déjà, que sonne le téléphone, que se fasse entendre à l’autre bout du fil la voix de Marie, avec qui il était en voyage et qu’il vient tout juste de quitter — « Et cette interminable demi-heure que je passai là devant la fenêtre à attendre vainement le coup de téléphone de Marie fut comme un condensé des deux mois d’attente que j’allais vivre en attendant un signe de sa part ». Car oui, décidément, « l’identité fatale de l’amoureux n’est rien d’autre que : je suis celui qui attend », insistait Roland Barthes…

L’insaisissable Marie, les lecteurs de Jean-Philippe Toussaint la connaissent, qui suivent depuis une dizaine d’années le récit de cet amour incessamment empêché, qui aimante autant qu’il écarte l’un de l’autre le narrateur et ladite Marie. Il y eut, en 2002, Faire l’amour ; en 2005, Fuir ; et, quatre ans plus tard, La Vérité sur Marie (1) — composant, avec le présent Nue, un ensemble romanesque intitulé Marie Madeleine Marguerite de Montalte. Mais que le lecteur qui commencerait par la fin, et rencontrerait Marie pour la première fois aujourd’hui, dans cet ultime volet de la fugue en quatre moments que Toussaint lui consacre, n’en soit pas alarmé : il en est dit assez sur elle pour qu’il ne soit pas désorienté — étourdi certes, et même chamboulé, mais cela par la fluidité des phrases de Toussaint, par le mouvement qu’il imprime à son récit, par la limpide grâce qui irradie de ce nouvel épisode du grand roman d’amour qu’est Marie Madeleine Marguerite de Montalte.

Amour contrarié : par l’humeur changeante de Marie, par les distances qui s’imposent aux deux amants, souvent les séparent, allers et retours — ballet géographique entre Tokyo et Paris, passant par l’île d’Elbe… Amour qui, donc, souvent, rime avec absence, défection, manque. Mais il faut bien qu’il en soit ainsi, afin que, de Marie, le narrateur de Nue, l’amant en souffrance, fasse son obsession, son tourment. Qu’elle habite ses pensées, sa mémoire, ses fantasmes, ses projets. Que les ima­ges d’elle se multiplient sans cesse et à l’infini, changeantes, complémentaires, contradictoires. Marie scrutée à travers un hublot, ou dans le reflet amplifié d’un jeu de miroirs. Marie rêvée ou Marie concrète et prosaïque. Marie tendre ou indifférente. « Marie, femme de son temps, active, débordée et urbaine, qui vivait dans des grands hôtels et traversait en coup de vent des halls d’aéroport en trench-coat mastic dont la ceinture pendouillait au sol », mais aussi Marie et sa « disposition océanique », sa faculté à atteindre « d’instinct la dimension cosmique de l’existence ».

Marie qui, quoi qu’il en soit, présente ou absente — attendue, espérée —, occupe tout l’espace. Mais « tout véritable amour […], et, plus largement, tout projet, toute entreprise, fût-ce l’éclosion d’une fleur, la maturation d’un arbre ou l’accomplissement d’une oeuvre, n’ayant qu’un seul objet et pour unique dessein de persévérer dans son être, n’est-il pas toujours, nécessairement, un ressassement ? » — Nathalie Crom

 

(1) Parus chez Minuit, comme toute l’oeuvre de l’auteur, ils sont disponibles en poche dans la collection Double.

 

Ed. de Minuit 170 p., 14,50 € (en librairie le 5 septembre).

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