Ce ne fut pas un feu de paille. Quand, en 1946, Rao et Meitang se fiancent, aucun des deux ne se doute que la traversée durera plus de soixante années. Une croisière au (très) long cours, jalonnée de nombreux moussaillons et surtout violemment ballottée par l’Histoire. Lutte contre l’envahisseur japonais, guerre civile entre nationalistes et partisans de Mao, avènement du communisme, purges, famines, rééducation : rien ne leur sera épargné. Issus de familles bourgeoises, les tourtereaux auront droit à tous les égards… Rao est envoyé pendant vingt ans dans un camp de travail à l’autre bout du pays, Meitang reste à Shanghai où chaque jour est un combat pour remplir les assiettes. Contre toute attente, le petit couple plie, mais ne rompt pas. Lorsque son épouse meurt, en 2008, l’ancien militaire se met en tête, à 86 ans, de coucher leur histoire sur le papier.
Destiné au cercle familial, le récit, qu’il agrémente d’une centaine de dessins en couleur, « fuite » sur Internet et les choses s’emballent. Publié par un éditeur chinois, Notre histoire rencontre un succès inattendu dans l’empire du Milieu. Rao et Meitang deviennent le symbole de la fidélité, la voie à suivre pour les jeunes générations trop volages, le livre que l’on s’offre entre fiancés. Pas de grandes considérations sur le monde ou sur l’Histoire dans le récit de Rao, pas plus d’ailleurs que de cris ou de révolte. Tout est contenu : pur produit de la Chine d’avant, l’homme n’a foi que dans la raison et l’autodiscipline. Avec un étonnant sens du détail et de l’anecdote, Notre histoire relate la vie conjugale, la somme des petits riens, des mille et un fils qui tissent ce « miracle ordinaire ». Et nous enseigne aussi que, pour survivre, il faut parfois s’accrocher au quotidien comme à une bouée de sauvetage. — Stéphane Jarno
Ed. du Seuil, 360 p., 23 €.
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