Mes Mille et Une Nuits. La Maladie comme drame et comme comédie

Ajouter un commentaire

Mes Mille et Une Nuits. La Maladie comme drame et comme comédie

« Certains penseurs prétendent tout savoir de la condition humaine sans avoir jamais ressenti le besoin de vérifier empiriquement leurs considérations », note avec malice Ruwen Ogien dans son nouvel essai. Lui-même, assurément, habitué à la morale expérimentale et à ses cas concrets (exposés en 2011 dans L’Influence de l’odeur des croissants chauds sur la bonté humaine), n’est pas de ceux-là. Nourri de philosophie analytique, défenseur d’une conception minimaliste de l’éthique (ayant pour seul critère de ne pas nuire aux autres), ce penseur logique et libertaire aime traquer dans ses livres les généralités métaphysiques et déminer les pseudo-évidences existentielles. Ainsi cette glorification permanente du sentiment amoureux, décapée en 2014 dans Philosopher ou faire l’amour…

Mes Mille et Une Nuits. La maladie comme drame et comme comédie s’offre une nouvelle cible de taille : le « dolorisme » contemporain, cette vision selon laquelle la souffrance aurait une valeur et un sens profonds — et donc selon laquelle la maladie, vue comme un défi nécessaire, une épreuve enrichissante, un mal précédant un plus grand bien, aurait finalement toujours du bon… « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » : Friedrich Nietzsche n’a-t-il pas lancé cet adage, repris par Johnny Hallyday dans une chanson ? Nous ne sommes pas très loin, on le voit, du royaume de la psychologie positive. « La tendance générale de cette psychologie à présenter les maladies les plus horribles de façon positive, c’est-à-dire comme des défis susceptibles de nous « faire grandir », de nous rendre « meilleurs », plus lucides sur nous-mêmes et la « condition humaine », ou comme des épreuves cruciales où notre véritable caractère (notre « courage », notre « résilience », etc.) pourrait se révéler, m’est devenue quasiment insupportable », tranche le philosophe.

Atteint d’un cancer du pancréas depuis 2013 faisant de lui un « malade « à perpétuité » », Ruwen Ogien sait de quoi il parle — et comment en parler. Opérations, chaos, chutes, rechutes, chimiothérapies à répétition, paternalisme médical, sentiment d’être devenu un déchet social ou un criminel, etc. : la fréquentation de cette « longue » maladie, « perçue aujourd’hui comme la plus terrifiante de toutes les graves affections (alors qu’elle est loin d’être la cause la plus fréquente de la mortalité due aux maladies) », est le moteur de cet essai très original. « Evidemment, ce n’est pas parce que je la trouve plus sympathique ou plus intéressante philosophiquement que les autres. C’est simplement parce que c’est la seule (heureusement !) dont j’ai une expérience personnelle », écrit l’auteur dès les premières pages. Le ton est donné : distancié et drôle, à l’image de Ruwen Ogien, observateur acerbe de la maladie, tout à la fois vue comme un « drame » et une « comédie », une scène où chacun, patient comme médecin, joue aussi un rôle social, réglé par un inégal ballet de droits et de devoirs.

Dialoguant avec plusieurs auteurs ayant écrit sur le sujet (Susan Sontag, Fritz Zorn, Simone de Beauvoir, Philip Roth, Samuel Butler, Alexandre Soljenitsyne…), le philosophe pose une série de questions dérangeantes : qu’est-ce qui compte le plus, la qualité de la vie ou la quantité ? Pourquoi, pour les classes populaires, la maladie apparaît-elle comme une menace matérielle, alors qu’elle est plutôt perçue par les classes moyennes et supérieures comme un obstacle au bonheur personnel ? Comment la maladie est-elle devenue une profession, exigeant un savoir-faire, un quasi-plan de carrière ? « Etre malade est en train de devenir mon vrai métier, mais j’aimerais bien être licencié. » — Juliette Cerf

 

Ed. Albin Michel, 256 p., 19 €.

Commandez le livre Mes Mille et Une Nuits. La Maladie comme drame et comme comédie

Laisser une réponse