Lettres choisies de la famille Brontë 1821-1855

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Lettres choisies de la famille Brontë 1821-1855

Le 13 juin 1849, quelques jours après la mort de sa soeur Anne, dans une lettre à son ami l’éditeur W.S. Williams, Charlotte Brontë dresse ce bilan navré des derniers mois écoulés : « Si, il y a un an, un prophète m’avait prédit en quel état ce mois de juin 1849 me trouverait — dépossédée, endeuillée —, s’il m’avait peint à l’avance l’automne, l’hiver et le printemps de maladie et de souffrances à traverser, j’aurais juré ne pouvoir endurer un tel supplice. Tout est fini. Branwell, Emily, Anne ont passé comme autant de rêves — comme étaient passées Maria et Elizabeth vingt années plus tôt. Un à un, je les ai veillés tandis qu’ils s’endormaient dans mes bras — et j’ai fermé leurs yeux voilés, un à un, je les ai vu mettre en terre… » A 33 ans, ayant perdu (de la tuberculose) et enterré en l’espace de trois saisons ses trois cadets Maria et Elizabeth, les deux aînées de la fratrie qu’elle mentionne, étaient mortes encore enfants, en 1825 , Charlotte Brontë se retrouvait seule, « dans un silence fatal ». Seule au presbytère de Haworth, la maison familiale du Yorkshire, en compagnie de son père, le révérend Patrick Brontë, de deux servantes et des deux vieux chiens d’Emily et d’Anne. « C’est du travail que doit venir la guérison, et non de la compassion — le travail seul triomphe des chagrins les plus tenaces », ajoutait-elle, le 25 juin, dans une autre lettre, destinée au même ami.

Parce qu’elle vécut un peu plus longtemps que ses frère et soeurs, parce que aussi, certainement, elle était d’un tempérament plus sociable, parce que enfin son amie et principale correspondante, Ellen Nussey, prit soin dès l’adolescence de conserver les lettres qu’elle avait reçues, Charlotte figure au tout premier plan de ce volume rassemblant les lettres des Brontë — l’édition anglaise en regroupe plus de mille, dont trois cents ont été conservées pour composer cette première version française, traduite et annotée avec beaucoup de soin. Dès l’adolescence, c’est essentiellement grâce aux missives de Charlotte — entre elles, de temps à autre, vient se glisser une lettre de Branwell, d’Emily ou du révérend — que s’entrouvre l’intimité de l’extraordinaire fratrie, dont le quotidien et les pensées s’organisent autour de la religion, de l’étude et de la poésie.

Entre les murs du presbytère de Haworth infusait un formidable et imprévisible phénomène littéraire. L’éclosion se produisit en 1846. Sous les pseudonymes masculins Currer, Ellis et Acton Bell, Charlotte, Emily et Anne publiaient un recueil de poésie à six mains. Ce n’était qu’un prélude. « C., E. et A. Bell travaillent aujourd’hui à une oeuvre de fiction destinée à la publication. Elle se compose de trois récits distincts, sans lien aucun, que l’on pourra soit réunir dans une édition en trois tomes du même format que ceux des romans ordinaires, soit publier en volumes uniques — comme bon semblera », écrivit Charlotte à l’éditeur Aylott and Jones, le 6 avril de cette même année. Les trois soeurs soumettaient alors ­ensemble leurs premiers manuscrits romanesques. L’année suivante paraissaient Jane Eyre, Agnes Grey et Wuthering Heights (Les Hauts de HurleVent), ce chef-d’oeuvre gothique que Georges Bataille tenait pour « peut-être la plus belle, la plus profondément violente des histoires d’amour ».

Les lettres de Charlotte ne lèvent en rien le voile sur le secret prodige littéraire survenu au mitan du xixe siècle, dans une bourgade ordinaire du pluvieux Yorkshire — mais elles l’incarnent en une jeune femme vive et sensible qui, à 39 ans, rejoignit ses soeurs dans la tombe. — Nathalie Crom

 

Traduit de l’anglais et annoté par Constance Lacroix, éd. Quai Voltaire, 622 p., 25 €.

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