Lettres à Alexandrine, 1876-1901

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Lettres à Alexandrine, 1876-1901

« Je ne puis dire que je suis très gai, et je crains fort de ne plus jamais l’être, car le partage du coeur m’est aussi douloureux que l’abandon où tu as pu te croire. » Voilà ce qu’écrivait le 11 novembre 1895, à 55 ans, « Emile Zola » (il signe toujours, crânement, avec son nom de famille) à sa « chère femme ». Soit l’épouse légitime : Alexandrine Meley. En découvrant par une lettre anonyme de 1891 la double vie d’Emile, ses deux enfants, déjà, avec la très jeune Jeanne Rozerot (1) , elle avait bel et bien souhaité divorcer. Sans accepter de renoncer à sa maîtresse ni à sa famille cachée, Zola l’avait retenue. Ne lui écrit-il pas, le 16 septembre 1896 : « J’ai eu si peur, un moment, que tout ne se brisât entre nous ! » ? Après bien des orages, le couple s’était accommodé : Alexandrine garderait sa place d’épouse officielle, avec le droit de voyager librement pour calmer ses chagrins (ce qui nous vaut ces trois cent dix-huit lettres…) ; Jeanne vivrait dans l’ombre, élèverait les enfants et contenterait dans le secret le vieil amant. Terrible arrangement qui dut ravager les trois coeurs. Zola s’interdit ici de mentionner Jeanne, parle pudiquement « d’aller voir les enfants » quand il va chez elle. Et c’est sur le lit conjugal, auprès d’Alexandrine, qu’il s’éteindra le 29 septembre 1902, asphyxié par sa cheminée, peut-être intentionnellement bouchée par un antidreyfusard toujours à vif…

Car l’affaire Dreyfus est l’autre volet de cette passionnante correspondance, qui témoigne encore, super­bement, du quotidien petit-bourgeois de l’écrivain, comptabilisant chaque dépense, décrivant minutieusement ses repas, les tâches des domestiques et ses sorties au théâtre, à l’opéra, sa passion des chiens. Ne se nomme-t-il pas « le chien-loup-chat » quand Alexandrine est « le chat-loup-chien » ? Mais l’engagement progressif aux côtés des défenseurs de Dreyfus va peu à peu le magnifier. « Il y aura peut-être plus tard une oeuvre admirable à faire avec cela », écrit-il d’abord, en professionnel de la fiction, le 16 novembre 1897. Puis progressivement, bien avant la publication du fameux « J’Accuse…! » de L’Aurore, le 13 janvier 1898, cette âme socialiste sait le devoir d’engagement politique de tout intellectuel, marquant à jamais le rôle et le devoir de ses pairs. L’homme qui aimait deux femmes fut celui d’une seule grande conviction. Comme quoi… — Fabienne Pascaud

 

(1) Lire également Lettres à Jeanne Rozerot, 1892-1902, éd. Gallimard, 400 p., 23,30 €.

 

Edition établie, présentée et annotée par Brigitte Emile-Zola et Alain Pagès Ed. Gallimard 832 p., 29,90 €.

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