Les Rameaux noirs

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Les Rameaux noirs

En exergue de cet éblouissant texte autobiographique, Simon Liberati a posé cinq vers du poème « Avril » de Gérard de Nerval, dont il a extrait le titre de son livre, Les Rameaux noirs. Il aurait pu, au lieu de Nerval, choisir Virgile et ce poignant fragment de l’Enéide qu’il cite, dans lequel le poète latin fait ­entendre à mots feutrés le chagrin qu’éprouve Enée à la mort d’Anchise : « C’est là, père excellent, que tu me laisses à mes lassitudes… » D’André Liberati, le père de Simon, on fait la connaissance aux premières pages du livre, alors qu’au coeur d’un été ­récent, en état de grande confusion mentale, le vieil homme a dû être hospitalisé. André Liberati fut un poète surréaliste, compagnon d’André Breton, de Louis Aragon, qui révérait le geste poétique et la pureté de l’inspiration comme le croyant honore la grâce et le sacrifice — il se convertit d’ailleurs, sous l’influence d’un abbé spécialiste du jansénisme, lorsqu’il s’éloigna de l’écriture. Il fut surtout, et il demeure, dans la vie de son fils non pas ce qu’on appelle platement un modèle, mais une présence et une référence plus essentielles — un repère, un idéal, un point fixe.

« Je sens se glisser vers moi l’idée que je repousse, que j’ose à peine prononcer, de la mort de mon père », écrit Simon Liberati, au moment où il s’apprête à s’immerger dans la matière dont est faite sa vie : des lectures (des milliers de lectures !), des rêveries, des démons, des fétiches, des rituels, des amitiés, des deuils, des dérives… Tout cela enraciné dans un indéfectible socle : une enfance heureuse dont le souvenir n’engendre pas de nostalgie. « Le sentiment qui me vient lorsque je ­regarde mon enfance n’est pas du regret. Quelque chose de meilleur que du regret. Une perspective qui comprend à la fois le regret et l’objet du regret ; ce n’est pas un manque, une absence, mais un paysage qui s’est éloigné et que je vois toujours », écrit Simon ­Liberati, dans cette autobiographie hautement méditative et d’une admirable profondeur. Tout sauf une introspection ou une mise à plat, plutôt une mise en ordre scrupuleuse — mais qui préserve des zones d’ombre, protège les secrets qui doivent le rester —, faussement digressive, en fait tout entière traversée par une réflexion sur l’écriture, l’essence de la poésie et celle de la prose, et surtout l’inspiration, cet « entrelacs d’idées mal éclairées » sur lequel vient à l’écrivain le désir de diriger le faisceau de sa lampe. — Nathalie Crom

 

Ed. Stock, 288 p., 19,50 € (en librairies le 23 août).

 

Du même auteur et le même jour paraît aussi Les Violettes de l’avenue Foch, génial recueil de « proses datées » (articles, entretiens et préfaces), éd. Stock, 304 p., 20 €.

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