Les Cygnes de la Cinquième Avenue

Ajouter un commentaire

Les Cygnes de la Cinquième Avenue

Ses « cygnes » — swans en version originale —, c’est ainsi qu’il les désignait. Faisant référence, par ce surnom, à l’élégance souveraine de leurs silhouettes drapées de soie griffée, à leurs postures de reines, leur port de tête altier. Référence plus subreptice, peut-être, qui sait, au projet secret qu’il nourrissait pour elles : les embaumer, elles et leur monde, dans un roman qui serait son grand oeuvre, comme Proust jadis avait fait de La Recherche le tombeau sublime et cruel de la haute société de son temps. Elles s’appelaient Babe Paley, Slim Hayward, Gloria Guinness, Pamela Churchill, Lee Radziwill, CZ Guest, Marella Agnelli…, toutes membres de la très grande bourgeoisie new-yorkaise, somptueusement mariées, fardées, parées, et Truman Capote était tout ensemble leur bouffon et leur confident. Jusqu’au matin du 17 octobre 1975 où parut, dans Esquire, « La Côte basque », une fiction brève, crue et ­ravageuse dans laquelle l’auteur de De sang-froid livrait au grand jour les aveux les plus intimes et les secrets les plus scabreux de ses amies, de leurs couples. La nouvelle est l’un des trois chapitres connus de Prières exaucées, le fameux roman proustien que Capote n’acheva jamais. Et ce jour d’octobre 1975 — date du suicide social, et peut-être, plus profondément, moral et littéraire, de l’écrivain — est au coeur de la fiction terriblement délectable et efficace que Melanie Benjamin con­sacre à ces événements.

Derrière la reconstitution léchée des us et des moeurs de la haute société new-yorkaise des années 1950-1970 pointent les ambiguïtés du rôle assigné aux femmes dans cette fastueuse kermesse, leur superbe mêlée de tant de solitude et de faiblesses cachées. C’est sur l’amitié fusionnelle qu’entretenaient Capote et la divine Babe Paley — et le vertigineux sentiment de trahison qu’ils éprouvèrent l’un et l’autre quand ce lien fut consumé — que se concentre particulièrement Melanie Benjamin, avec une pertinence psychologique qui confère à son prenant roman documentaire l’aura de la tragédie. — Nathalie Crom

 

The Swans of Fifth Avenue, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christel Gaillard-Paris, éd. Albin Michel, 432 p., 22 €.

Commandez le livre Les Cygnes de la Cinquième Avenue

Laisser une réponse